Il y a des contes qui se dupliquent à l’infini, des lignes directrices qui trouvent leur originalité dans le contexte dans lequel ils évoluent. Black est de ces histoires là. Mais attention : ne prenez pas trop vos aises.
Ne prenez pas Black pour un coup d’essai. Le long-métrage est le deuxième film du duo de réalisateurs belges Adil El Arbi et Bilall Fallah après Image. Lors de leur premier projet, les cinéastes nous plongeaient au cœur de la street via une journaliste qui découvrait les coins sombres des pavés de Bruxelles.
Ici, toujours en Belgique, ils adaptent deux ouvrages Back et Black, livres du prolifique écrivain flamand Dirk Bracke. Une aubaine, tant les références croisent les velléités thématiques d’El Arbi et Fallah. Une histoire simple mais pas simpliste. Elles ne le sont jamais, dans le contexte violent et dur de la rue. Les tentacules de la pression sociale, des abus sociétaux sont inéluctables. Ils parcourent le film de part en part.
Génération perdue
Grossièrement présenté, Black est une histoire d’amour. Pourtant, dès le générique, le son est lourd, menaçant, puissant. A la limite du paroxysme. De l’exagération. Premier plan, un jeune court. La caméra bouge dans tous les sens. Dans ses mains, un sac qui ne porte pas son nom. Une course poursuite inaugurale qui se termine inévitablement face à la police. Le ton est donné.
Black ne se résout pourtant pas à jouer aux flics et aux voleurs. Le postulat de départ est simple, certes, mais il est tout autre. Mavela (Martha Canga Antonio) est une jeune congolaise radieuse, intelligente. Le monde s’ouvrirait bien à elle, si seulement elle n’avait pas d’aussi mauvaises fréquentations. Si elle faisait de meilleurs choix. Pour Marwan (Aboubakr Bensaihi), le souci est le même, mais du côté marocain. Tandis que Mavela est embringuée chez les « Black Bronx », Marwan défend les couleurs des « 1080 ». Castés dans la rue, les acteurs, principaux ou secondaires, signent tous une prestation exemplaire, permettant d’éviter les clichés de langages ou les surjeux d’intention. Un bonheur bien rare dans l’urbain francophone.
A la manière de The Wire, il y a du bon et du mauvais de chaque côté du conte. Chez la volaille comme chez les voyous, il y a les affreux encroûtés dans leurs convictions de guérilla et ceux qui se refusent au monochrome du désespoir. Pourtant, la jeunesse dépeinte par les réalisateurs est sacrément sinistre. Déterminée à faire corps avec une sauvagerie qui se transforme progressivement en rang social interne. Perdus, ils ne voient la rédemption que dans l’outrance, tandis que le monde ne les voit que comme des fauteurs de troubles anonymes.
Par l’ego
Les clans se font la nique, confrontent violemment les laissés pour compte. Marwan et Mavela, eux, se rencontrent dans la rue. Si tout meurt par la rue, tout naît, aussi. Une idylle émerge. Elle tranche face à la violence et au désespoir qui l’entoure. Petit à petit, la contemplation et la séduction permettent aux plans de trouver un semblant d’immobilisme, de clarté, de repos.
Ces moments ne sont que passagers. Ils se transforment rapidement en scènes de violences inouïes. Là où d’autres films se bornent à justifier la déchéance personnelle de leurs personnages par leurs choix, Black le fait par les actes. Ici, les viols sont filmés crus, les passages à tabac sanglants. Jusqu’à un final qui rappelle le Gangs of New York de Scorsese, la brume en moins mais le fatalisme égal.
Si les réalisateurs se veulent inspirés de La Haine, la poésie est davantage individuelle que sociale. Dommage qu’aucun échappatoire ne soit possible face à la vision déterministe et sans appel d’une jeunesse qui ne semble jamais, même une seconde, réfléchir sur sa condition autrement que par le prisme de soi. Le seul regret de Black.
Comme beaucoup de films urbains, il se voulait coup de poing. C'est largement réussi pour Black, long-métrage qui trouve un équilibre rare entre tendresse et violence. Tant pis si le contexte social est dépeint à grands coups de surligneurs et sert surtout à frapper les esprits, parfois de manière peu subtile. Un peu bizarrement, Black est d'abord une romance avant une revendication. L'histoire d'une fleur qui se débat au milieu du béton.
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