Black, film sociétal et constat militant qui laisse sans espoir, les yeux humides face à la violence implacable d’une société en train de sacrifier toute une génération au nom de l’indifférence. Le film ne sortira pas en salle pour cause de bagarres ayant éclaté au cours des premières projections. Au nom également de la censure qui prédomine, depuis certains attentats, et qui fait que certaines vérités ne sont plus bonnes à dire. Il faut reconnaître que ce film comme d’autres avant (Train d’Enfer par exemple) est à double-tranchant. D’un côté la violence de ghettos urbains qui vient accréditer les thèses d’extrême-droite, de l’autre la marginalité de cette violence qui montre que la stigmatisation est une erreur. La vérité est au milieu, admettre une réalité sans la généraliser. Démontrer aussi que, quelles que soient les banlieues, concentrer une même population, dans un même lieu et dans les mêmes conditions sociales, conduit au même résultat. Même l’amour naissant entre Mavela et Marwan n’y suffit pas, tant il est tabou dans un milieu où seuls les rapports de force servent de point de repère.
Black, film de cinéma bien entendu, tendu comme arc et coupant comme ces lames de rasoir destinées à trancher dans le vif tout élan de liberté, toute volonté d’autre chose. Pas de question religieuse ici, juste celle de l’amitié, de l’amour et de la famille. La caméra est à cran comme les nerfs du spectateurs, on passe de scène en scène comme on passe de douleur en douleur, face à cette jeunesse qu’on trompe. Le r’n’b, street music de la frime, rythme d’un implacable tempo les menus larcins et les grands crimes des personnages, mettant en partition des acteurs plus vrais que nature, qui se donnent corps et âmes à ce film, comme on se donne à une juste cause. Sans fioritures, sans rien cacher, les metteurs en scène montrent ce qu’on ne veut plus voir, soit par lâcheté, soit par angélisme, soit par crainte d’un racisme imbécile. Tout est fait pour nous plonger le nez dans nos erreurs et culpabilités collectives, de la caméra filmant en mode documentaire, à la lumière jouant d’ombres et de lumières comme d’autant de masques, derrière lesquels se dissimule l’innocence perdue et coupable.
Film moralement et physiquement épuisant, Black nous tend un impitoyable miroir prompt à nous renvoyer en pleine face nos responsabilités collectives, celles d’une société basée sur le pouvoir, le rapport de force et la possession, autant des êtres que des choses. Des « valeurs » qui finalement, font rapidement sauter le vernis de notre civilisation, dès lors que les règles humaines de vie en commun disparaissent, comme dans les banlieues du monde entier. Adil El Arbi et Bilall Fallah ne font aucune concession et dressent le portrait d’êtres en sursis, vivant en risque permanent tels des loupes grossissantes des errements de nos libéralismes. Nouvelle métaphore de Roméo Et Juliette, proche de West Side Story, Black est bien plus qu’un cri d’alarme, c‘est le hurlement de douleur d’une part de la jeunesse en perdition et qui, sans exiger de solution, nous annonce qu’elle s’est résignée au malheur.
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