Cette sensation de segmentation de la filmographie de Kaneto Shindō est quand même très tenace, et même en gardant à distance tout automatisme lié à la politique des auteurs, il reste malgré tout presque impossible de ne pas voir trois ou quatre segments ressortir. Les années 50, avec des drames sociaux sobres à caractère historique. Les années 60, avec les films les plus flamboyants et surtout les plus connus (au milieu desquels se glissent malgré tout d'autres choses). Les années 70-80, avec une empreinte d'auteur beaucoup plus pesante. Et tout le reste à découvrir, plus épars, jusqu'à sa mort en 2012.
"Burakkubôdo" (parfois connu son la dénomination Black Board) est un portrait de l'adolescence au collège qui se situe quelque part entre le tragique de l'affrontement meurtrier qui était décrit dans le très beau "A Brighter Summer Day" (Edward Yang, 1991) et l'ambiance de temps suspendu autour d'une situation catastrophique dans "Typhoon Club" (Shinji Sômai, 1985). C'est aussi et peut-être avant tout un film qui se joue des attentes et qui se plaît à nous embarquer dans des fausses pistes. Les premières minutes laissent penser que Shindō s'est mis à la comédie dans les années 80, avec ce personnage déambulant sur un thème musical désinvolte... Puis on découvre qu'il est question d'un homicide, avec le corps d'un jeune adolescent fraîchement retrouvé, laissant entrevoir un film basé sur une enquête policière... Mais le meurtre en question est en réalité très rapidement élucidé, les coupables identifiés... et le film s'engage finalement, par l'entremise de nombreux flashbacks, dans la voie du constat social sur le thème du harcèlement (scolaire, en l'occurrence).
Pour autant je place ce film dans le ventre mou de la carrière de Shindō, avec un accompagnement un peu trop didactique dans l'ensemble qui rend la démonstration un peu poussive (les bourreaux peuvent devenir les victimes, et inversement) et un peu longue dans la dernière partie. On se contentera de constater que le réalisateur a confié à sa femme et collaboratrice de longue date Nobuko Otowa un rôle particulièrement peu affriolant, la mère de l'adolescent assassiné, veuve, qui travaille comme femme de ménage — une séquence de récurage de chiottes est là pour en attester. Le film souffre malgré tout d'une structure un peu désorganisée, et d'une certaine superficialité dans le traitement du sujet (les incursions du côté des réunions de professeurs en est sans doute la meilleure illustration).