Amsterdam, pique et nique et prends les armes

Du grand film de cinéma, Black Book a tous les ingrédients : reconstitution historique impeccable, glamour à (presque) tous les étages, romance et résistance, servis pas une photographie classieuse et une mise en scène d’une grande fluidité. S’ajoute à cet ensemble un scenario dense et riche en péripéties, au sein d’un panier de crabes où les trahisons se scellent à coup de flingue ou de bassin.
Produit premium, au risque de quelques excès propre à la grande machine à rêves du 7ème art qu’on excusera volontiers, diront les moins attentifs.
Car le film double clairement son chrome hollywoodien d’un traitement européen, du regard d’un auteur véritable qui n’hésite pas, çà et là, à décaper à coup de papier de verre les vernis rutilants du produit de grande consommation.
Le film tout entier se construit sur un double mouvement ambivalent : alors qu’on se déguise de toute part, qu’on se donne en spectacle, les coulisses et les sentiments les plus complexes se dévoilent à leur tour sur des vérités qui viennent gripper la belle machine du manichéisme attendu.
Tandis que Rachel, créature de cabaret, d’une beauté et d’une voix foudroyantes, minaude sur une chanson grivoise entourée de SS en goguette, le gout du vomi qu’elle vient d’expulser à la vue du meurtrier de sa famille lui tiraille encore la bouche. Alors qu’aux étages supérieurs, la fête et le spectacle battent leur plein, la musique cache les hurlements des résistants qu’on torture dans les caves. Avant de devenir Jean Harlow ou Greta Garbo, comme on se plait à la décrire, Rachel est sortie d’un cercueil à la manière d’un vampire, et en est descendu comme une star. Mais d’elle, nous verrons tout : l’héroïsme et le making of, le sexe qu’on teint et les pieds charbonneux qu’on lave dans les toilettes.

Sur la trame classique de l’agent double qui fait en tremblant son job quand l’affreux dort après l’amour, Verhoeven greffe une passion déconcertante, d’autant plus intéressante qu’elle désamorce les enjeux classiques : dès le départ, les origines de chacun sont claires, et les lignes poreuses entre les crédits aux héros et les compromis de chaque camp.
Et si les twists à répétition peuvent sembler un peu laborieux par instants, n’oublions pas le regard froid et lucide sur la nature humaine qui en découle : le renversement des situations donne à chacun l’occasion de dévoiler sa bestialité ou son instinct de survie. L’antisémitisme des résistants, les pulsions barbares de la foule à la libération… C’est un constat bien amer que fait Verhoeven sur cette période trouble, et sur sa capacité à ne pas tirer de leçon des erreurs passées. « Ca ne finira donc jamais ? », sanglote Rachel lors d’une des rares scènes où elle flanche. Et en effet, même la happy end de la reconstruction contient en germe, à travers des grillages et derrière des miradors, l’implacable répétition de l’Histoire.
Verhoeven l’a souvent prouvé : il faut être d’une belle intelligence pour exploiter la vitrine de l’académisme et du grand spectacle à des fins aussi subtiles, ambivalentes et touchantes sur la nature humaine.


(vous excuserez mon titre d’autant plus moisi que l’action se passe à La Haye)


(7,5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Paul_Verhoeven/1018027

Sergent_Pepper
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le 28 janv. 2014

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le 28 janv. 2014

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