Cette critique a été écrite pour le site Seul Le Cinéma, je vous invite donc à la lire en cliquant sur ce lien.
Noir. Puis soudainement surgit le refrain de Relax, du groupe Frankie Goes to Hollywood, et réveille un jeune homme profondément endormi. Une date s’affiche : « 1984 ». Le jeune homme descend dans la cuisine, et discute avec son père. Après avoir appris que son fils avait rendez-vous chez un grand nom du jeu-vidéo pour proposer sa création, soit un jeu interactif basé sur le roman Bandersnatch (un livre dont le lecteur est le héros), le père lui propose deux paquets de céréales, Frosties ou Sugar Puffs. Un choix s’affiche alors en bas de l’écran, et le spectateur a dix secondes pour se décider à la place du personnage.
Cette courte description correspond aux premières minutes du film Black Mirror : Bandersnatch, film interactif proposé par Netflix au sein de la série Black Mirror, série britannique dont les deux premières saisons ont était produite par Channel 4 pour la télévision anglaise, et reprise ensuite par le géant du streaming américain. Cette série se démarque des autres en proposant, plus que des épisodes, des moyen-métrages (voire des longs dans certains cas) dont l’histoire tourne autour de notre rapport à la technologie, et plus précisément aux écrans. Une grande partie de ces films donne à voir un futur où une technologie a pris le pas sur notre façon de vivre. Par exemple, l’épisode 3 de la saison 1, The Entire History of You, nous plonge dans une société où l’ensemble des humains ont un implant derrière l’oreille qui leur permet d’enregistrer et de montrer ensuite à d’autres (s’ils le souhaitent) tout ce qu’ils voient. En outre, les épisodes, aux couleurs ou à la mise en scène très froide, afin de coller au mieux à une déshumanisation de la société, se terminent presque toujours par une fin amère ou violente, dans laquelle les personnages échouent le plus souvent à réaliser leurs objectifs.
L’ancrage du film interactif dans les années 80 détonne ainsi dans la série. Le choix des eighties ne renvoie pas à une nostalgie aliénante, mais permet de rendre plus crédible la création d’un jeu-vidéo à la maison produit en collaboration avec un grand studio (entendons-nous bien, aujourd’hui, certains jeux sont produits de manière totalement indépendante, mais jamais vous ne verrez un logo EA, Nintendo ou Activision dans les crédits.) Plus que des références à la décennie d’Indiana Jones, le film glisse de nombreux easter-eggs de la série, le plus évident étant l’affiche d’un jeu nommé Metal Head, sur laquelle est dessiné le robot que l’on retrouve dans l’épisode éponyme de la saison 4, déjà réalisé par David Slade. En outre, l’interaction avec le spectateur étant au centre de la construction du long-métrage, celui-ci en devient très (trop) méta, et fais souvent référence au spectateur de manière détournée, quand il ne brise pas totalement le quatrième mur. Avant que le personnage principal, Stephan, ne devienne fou, cette dimension méta est portée par Colin (interprété par Will Poulter) qui en devient un presque un personnage omnipotent. Et le mot « choix » est si souvent prononcé qu’il en devient indigeste, comme s’il fallait appuyer toutes les deux minutes le fait que le spectateur choisit pour le héros.
Parlons-en de ces choix. A certains moments, on a vraiment l’impression que l’on force la main du spectateur. dans la première moitié du film, Stephan a un rendez-vous avec sa psychologue, qui lui propose de lui parler de sa mère. Si le spectateur refuse, la psychologue insistera, lançant un nouveau choix où le mot « oui » sera présélectionné. Il est toujours possible de refuser, mais lorsqu’on arrivera à une fin-cul de sac, à un un choix qui arrête le développement du jeu, central dans le film, ou qui tue brutalement le personnage, rendant impossible l’avancée du récit, un écran nous proposera soit de revenir en arrière, sur notre dernier choix, soit de revenir à cette discussion, pour enfin cliquer sur « oui ». Si l’on préfère des choix mettant en sécurité le personnage, comme accepter de travailler dans les bureaux de la firme, ou prendre le traitement proposé par le médecin après un évènement particulier, le film débouche sur une fin déceptive, où le jeu développé sort mais n’est pas à la hauteur de l’ambition du personnage. Pourquoi les scénaristes n’ont-ils pas plus écrits ces chemins, et proposer d’autres basculements ? Cinq des fins ont été découvertes avant l’écriture de cette critique, et toutes sont violentes et pessimistes (meurtre, prison, mort…), si bien qu’en ne proposant aucune alternative plus optimiste, Black Mirror semble se parodier elle-même. Une seule conclusion dénote en allant au bout du délire interactif en emmenant dans les studios de tournage du film, où la scripte vient rappeler à l’ordre l’acteur principal, Fionn Whitehead (révélé dans Dunkerque de Nolan), qui ne suit pas le scénario. Mais il s’agit de montrer un comédien en train de devenir fou à cause de son rôle, comme si tout devait mener à la folie. Peut-être est-ce une critique sous-jacente d’un système qui mène les gens à la folie par des choix préconçus, formatés ? Peut-être, mais ce serait étonnant dans une production étiquetée Netflix, marque qui tend à aliéner ses consommateurs par des propositions de choix gérées par un algorithme.
Devant l’absence de chemins à la suite de certains choix, qui mènent à une fin abrupte, ou le fait que d’autres choix sont très guidés, l’impression d’un produit inachevé domine. Peut-être est-ce dû à une deadline imposée par Netflix, qui avait besoin d’un Black Mirror avant fin 2018 pour satisfaire le fan. La série mériterait alors de ralentir son rythme de diffusion, qui était d’une saison tous les deux ans avant le rachat de Netflix. Peut-être est-ce la réduction des choix permet-elle de mettre en avant l’histoire, où une seule fin propose un jeu achevé qui rend fier son créateur (même si c’est aussi la fin la plus violente d’entre toutes). Mais pourquoi alors cette histoire fait-elle autant référence à la dimension interactive du film, avec ce programmeur qui crée un jeu interactif basé sur un roman lui-même interactif ? Peut-être cette interactivité aurait-elle été plus intéressante en prenant place dans un film qui n’insiste pas autant dessus. On peut en outre se demander ce que cache cette dimension méta. Que nous raconte Bandersnatch, à part l’histoire vue et revue d’un artiste qui devient fou en créant quelque chose qui le dépasse ? Où est la dimension réflexive qui fait la force et la saveur de la série ? Dans le formatage des choix ? Si c’est le cas c’est un peu court…