Pour échapper à un mariage triste en Côte d'Ivoire, Aya trouve refuge en Chine, où elle se passionne pour le thé et l'art du thé. Les dégustations de thé dans la boutique de Wan Cai vont révéler certains mystères de cet homme, sa famille et du thé.

Le film met en scène des personnages entiers, qui incarnent la cohabitation joyeuse souvent, complexe parfois, entre différentes cultures dans le quartier africain de Canton. Il y a le salon de coiffure de Trésor qui côtoie la boutique de valises à prix cassés de Mei. La langue parlée dans le film est majoritairement le chinois, mais la question de l'appartenance et du retour au pays reste en toile de fond. Une scène cocasse d'interprétation de l'arabe au chinois montre l'ancrage culturel sur lequel reposent les grands phénomènes de mondialisation et du commerce international, derrière lesquels se cachent des hommes ancrés dans une culture.

L'art du thé donne au film ses lettres de noblesse, dans une esthétique maîtrisée. Il est une invitation à prendre le temps, à trouver de la beauté dans les moments du quotidien, dans les gestes et les paroles. Un peu comme l'expression chinoise "goûter le thé" pour "boire le thé", impliquant une expérience sensorielle plus gourmande et heureuse. D'ailleurs, le film, au travers de divers parcours, de divers personnages, est une exploration des émotions et passions humaines. Il nous fait traverser les cultures pour toucher le sens profond des choses, qui nous lient tous en tant qu'humains. Une expérience subtile des sens (ceux développés par l'art du thé), des corps (animés par les chansons présentes dans le film) et des émotions.

Au coeur du film est l'expérience de l'amour - marital, familial, filial, et pour un instant lesbien, mais aussi la solidarité entre femmes. Si le scénario semble parfois peu réaliste (Aya s'exprime dans un chinois parfait, sans transition, l'histoire de Wan Cai au Cap-Vert arrive elle aussi sans plus grande explication), la beauté du film dépasse le critère de réalisme du scénario. Sa force réside en fait dans la puissance de l'imagination. Il en est ainsi du retour au Cap-Vert, purement rêvé.

Plus encore: la fin ne nous indiquerait pas que tout ne pourrait être qu'un rêve, une évasion onirique si Aya avait dit non au mariage?

Pourtant, Black tea se garde d'un registre purement contemplatif. En effet, les considérations (géo)-politiques ne sont jamais loin. Des phénomènes gangrènent la société chinoise dans son intimité: les patrouilles dans la rue, la propagande et le culte de la personnalité, jusqu'aux extravagances des Routes de la Soie, qui ne peuvent cacher le racisme d'une partie de la société chinoise envers la population africaine.

Un film à déguster, à goûter pour un lent éveil des sens.

Nuwanda_dps
8
Écrit par

Créée

le 23 mai 2024

Modifiée

le 23 mai 2024

Critique lue 106 fois

1 j'aime

Emilie Rosier

Écrit par

Critique lue 106 fois

1

D'autres avis sur Black Tea

Black Tea
GilmourDuncan
6

Romance au milieu des Theiers

Laissez-vous porter par ce film, car il vous veut du bien.Ce film est plein de douceur et de poésie.Abderrahmane Sissako choisit à travers une relation amoureuse entre Wang Cai, un chinois d'une...

le 4 mars 2024

4 j'aime

Black Tea
SurLaRouteDuCinma
5

TWIST A CANTON

Le jour de ses noces devant le maire, Aya dit non à ce qui ressemble à un mariage arrangé ou en tout cas non désiré et plutôt mal parti puisque le fiancé a trompé la fiancée la veille de la...

le 3 mars 2024

3 j'aime

Black Tea
constancepillerault
6

Critique de Black Tea par constancepillerault

Film décevant, par rapport à Timbuktu, la précédente oeuvre du réalisateur. Certes la mise en scène est soignée, très esthétisante même, mais cet esthétisme étouffe un peu l'histoire (pas très...

le 8 mars 2024

3 j'aime

Du même critique

Tralala
Nuwanda_dps
8

Tralala dans l'air

La scène d’ouverture donne le ton magique car enivrant de "Tralala" : la poussière d’un squat miteux près à être démoli qui devient poussière d’étoiles et source d’inspiration pour une prochaine...

le 13 sept. 2021

11 j'aime

1

Paterson
Nuwanda_dps
9

Paterson: une réconciliation

Paterson est l'homme, la ville, le film de la réconciliation. Réconciliation entre la pauvreté de la ligne de bus 23 et la richesse des dialogues de ses passagers. Entre la laideur du chien et la...

le 29 déc. 2016

11 j'aime

Anatomie d'une chute
Nuwanda_dps
9

Le pourquoi du comment

Daniel, 11 ans, retrouve son père mort après être tombé du deuxième étage de leur chalet de montagne. Commence alors une enquête pour clarifier comment Samuel a-t-il bien pu tomber. Sandra, la mère,...

le 7 sept. 2023

8 j'aime

1