Au début des années 2010, la société de production « Le Chat qui fume », fournisseuse de séries Z érotico-gore et de projets expérimentaux ou hasardeux, a participé au retour du giallo (thrillers italiens esthétisants des 70s) qu’auront relevé les adeptes du Bis et de l’étrange (en tête de cortège, Amer). François Gaillard et Christophe Robin se sont à cette occasion illustrés avec Blackaria (2009) puis Last Caress (2011). Le premier est à la fois un hommage évident, naturellement à Argento et Bava, mais aussi dans la foulée à DePalma (voir à Bunuel!). Soutenu par une BO assez intense (collaborations du groupe Double Dragon), Blackaria, réjouissant pour son ambiance, ses trouvailles esthétiques et dérives rococos, consacre l’intégrisme bisseux dans ce qu’il a de plus sympathique, ludique, sincère et un peu fou, mais aussi de demeuré et brouillon.

Confectionné par des adorateurs du cinéma underground et gore devant l’éternel, Blackaria démarre sur la présentation et justification de ceux-ci (culpabilité mal refoulée à propos de son tarif en vente DVD?). On découvre des geeks apparemment amorphes et manifestement passionnés voir obsessionnels. C’est positif pour le cinéphile mais assez consternant en tant que sujet animé ; l’initiative est troublante, suscitant à la fois consternation polie et intéressement (ce premier degré a quelque chose de noble).

Les auteurs, dont c’est le premier long, seront fidèles à eux-mêmes, signant un métrage hypertrophié, généreux, avec ses références pataudes ainsi que ses moments d’extase et de grâce, surréalistes et pulsionnels, à l’instar de ce premier contact de l’ascenseur. Toutefois, l’ensemble est enrayé par une facture (voir consistance et méthodes) de romance TV bis façon Vacances de l’amour. Et surtout, au-delà de la naïveté de la restitution d’un univers personnel : un manque de sérieux assumé, avec gimmicks aberrants (commissaire à la sucette). On croirait que les auteurs torturent ce qu’ils adorent, entre amour délirant et auto-dérision, conjuguant sophistication maniaque quoique beauf et vulgarité puérile, parfois beaucoup plus intensément ordurière et pathologique que ce que les deux cinéastes croient projeter (imaginant vraisemblablement être simplement potaches, alors que leur nullitude forcenée par endroits laisse en plan, arrachant des sourires de dépit ou de connivence mais aucune tendresse – peut-être d’autres nanardophiles s’y attacheront cependant). Il n’y a aucune dimension ou profondeur à trouver dans Blackaria : il est parfaitement horizontal, graphique et gratuit. Tout ce qu’il contient est émergé, absorbant le spectateur mais pas obsédant (sinon en tant que designer infantile) : il s’agit juste de se délecter de la chair éprouvée, de mauvais goût, de luxe et d’érotisme.

Obstinément déférents aux principes du giallo en même temps qu’à leur ambition d’un spectacle flashy et sanguinolent, Robin et Gaillard surprennent par la naïveté des effets et du traitement (très enfantin) qu’ils réservent à leur bébé si tendrement chéri et secoué. Leurs escapades sur le territoire de la lingerie révèle de vieux obsédés nanardesques qu’on imagine stimulés par l’érotisme et la violence cachée à la fois de la banalité d’un quotidien petit-bourgeois et de leur culture cinéphile et affinités particulières. Ce sont des pyrotechnicien cheaps et no limit, partiellement perfectionnistes et globalement très raffinés, comme en atteste leur magnifique Dame en Rouge, traumatisée vengeresse dans son costume gothique destroy de Chaperon rouge funèbre. Toutefois ce sont surtout des esprits geeks sans conscience de la vie, ses lignes de force et sa fluidité. Cette propension se traduit autant par les délicieux et lourds abus de filtres de couleurs que par les effusions émotionnelles même pas grotesques mais carrément non-humaines du casting masculin (psy érotomane en tête).

Ainsi, il n’est pas étonnant, et d’ailleurs cela fait partie du contrat giallesque, qu’il y a pour Blackaria des difficultés à assumer une histoire entière ; il aurait mieux valu basculer dans la dérive graphique absolue, la course entre les blocs métaphoriques. Blackaria affirme cette volonté d’enchaîner et relier des imageries excessives et glam trash : il ne s’auto-censure pas (au contraire – il se blâme inconsciemment plutôt) mais semble croire que son réalisme anti-naturaliste apporte une contenance et une validité à ses leitmotiv, alors que non, il ne fait que freiner la candeur et l’extrémisme indélicat de leurs visions de techniciens dissipés. De même, les réalisateurs confondent leurs outrances avec une emphase fétichiste, préférant, dans la plupart des scènes, agir comme s’ils se pastichaient eux-mêmes. Leur liberté, leur implication et leur obstination à dépersonnaliser (dès lors que s’arrête le territoire des probables private joke) cohabitent mal. Seules les séquences exclusives d’apparitions de la Dame en Rouge intègrent aveuglément leur passion ; dans toutes les autres, les cinéastes créent un faux recul, comme pour se dédouaner de leurs fascinations, qui est préjudiciable d’autant plus que les efforts sont transparents et les effets surréalistes.

Si assumé et bourrin, en même temps très rigide, mécanique ; à la fois gluant parce que c’est le but, et placide parce que c’est (dans l’esprit manifesté par la mise en scène) plus propre. Blackaria est un très joli giallo français, un produit d’exploitation outrancier et exaltant pour cela, d’ailleurs sa candeur délirante ne lui nuit pas, surtout que l’amateurisme est compensé par une radicalité expressive. Néanmoins, si criard soit-il, ses passions semblent endormies, ou trop compartimentées : l’aficionado sort la bouche en cœur, plein d’espoir pour la suite avec une pointe de dépit amusé. Les autres vont regretter ce degré zéro et ils auront raison d’être sceptiques, il y a ici un mélange de confusions et d’accomplissements qui ont de quoi décontenancer (la genèse ultra-schématique prête à rire et même si c’est l’effet recherché, ça ressemble plus au fruit d’une indécision qu’à celui d’une ivresse créatrice).

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le 9 mars 2014

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Zogarok

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