Off to Marine-neverland.
Quand j'étais petit, j'adorais beaucoup de choses concernant les animaux, de toutes tailles, de tous horizons, de toutes époques. J'ai appris à lire avec des livres imagés sur les animaux, sur les dinosaures, sur certaines plantes, etc. La bibliothèque municipale de Cagnes sur Mer me connaissait car j'empruntais toujours les mêmes livres un peu trop pointus pour un gamin de 7-8 ans au sujet des records de la nature.
Le premier livre d'art qu'on m'a offert s'appelait "Baleines et dauphins". Un grand format, papier photo brillant, avec des photographies superbes de cétacés dans leur milieu naturel, répertoriant la plupart des espèces connues, de la baleine à bosse aux quelques spécimens survivants de dauphins d'eau douce. Les textes informaient des lieux et modes de vie tels qu'ils étaient alors connus. C'était beau, et respectueux de la nature, avec l'indignation qu'on attend de ce genre d'ouvrage envers la barbarie de la chasse industrielle et une certaine méfiance à l'égard du tourisme en haute mer qui pourrait perturber le mode de vie des mammifères marins. Je ne me souviens de rien à concernant les parcs aquatiques.
Par ailleurs, j'étais de la génération Sauvez Willy, le grand divertissement familial spectaculaire et plein de bons sentiments et de valeurs qu'un enfant peut penser valables et morales. Avec un soupçon d'anti-captivité, d'ode à la liberté (de l'homme, des animaux). J'étais naïf, j'y reviendrai. Je n'ai pas vu les suites.
Enfin, je vivais à côté d'un célèbre parc aquatique semblable à ceux dont il question ici, Marineland. Mon rêve de gamin était d'y aller et même qui sait d'un jour y travailler. J'y suis allé deux, trois fois. J'adorais voir les otaries, les pingouins, les phoques. Parqués dans des enclos creusés sous le sol et cernés de barrières agressives et dissuasives. A la merci de spectateurs complices et souvent inconscient de l'horreur à laquelle ils participaient. J'étais de ceux-là, trop émerveillé par l'exotisme de ces animaux vivants pour imaginer une seule seconde l'absurdité et l'horreur de leur condition. Méduses en boîte, requins relégués dans un majestueux aquarium vitré dont se gausse toujours l'endroit. Et puis les spectacles avec les dauphins (vous savez, ces animaux qui violent des humains parfois, mais comment s'en méfier, ce sont des dauphins, dauphin = gentil non ?), et surtout avec les orques. Impressionnants, stupéfiants, grandioses il faut bien le dire.
De rouille, de sang et d'os.
Et puis j'ai découvert ce film, via des critiques, des commentaires choqués, des notes éloquentes, un tag opportun (merci Kenshin). Intrigué, flairant le cauchemar bénéfique, je l'ai téléchargé et visionné pratiquement dans la foulée. Le décor est posé d'emblée : la féérie n'est jamais posée, mais démentie immédiatement par un premier incident mortel. Dès lors, tout le faux rêve que nous démonte le documentaire sonne sinistre, menaçant, fou à lier. Musique grinçante et en décalage (contrepoint didactique dirons certains), publicités rayonnantes qui ressemblent à des parodies grimaçantes, témoignages et archives accablants, et ces animaux, dont les ultrasons nous percent les tympans et nous fendent le cœur, semblant vouloir dire tantôt "Je vais te tuer si tu ne me sors pas de là" et puis "Rendez moi mes enfants." Marrant de voir que le sujet a inspiré des fictions filmées, du gentillet mais infiniment hypocrite et cruel Sauvez WIlly (tourné dans des parcs avec une orque domestiquée et qu'on fait SEMBLANT de relâcher à la fin, connards.) au plus âpre mais finalement pas tellement sur le sujet film d'Audiard. Ce qui arrive à la Cotillard de la fiction est arrivé à bien des entraîneurs, en moins grave ou en mortel. Et le film aligne les anecdotes effrayantes là dessus. Le climax étant l'attaque vicieuse et ambiguë d'un orque qui s'amuse à couler son dresseur, le tout filmé froidement et en bonne définition par on ne sait pas trop qui - un miracle que la cassette ait survécu à la censure des dirigeants du parc, bien trop soucieux de faire tourner leur business au mépris de la vie de ses employés et de la santé mentale et physique de ses stars aquatiques.
From Earth to Mars, from Mars to Sirius
Moi, quand je vois tout ça, que j'en pleure de rage, de honte et de malaise, que je vois ces gens forcément éplorés de la perte de proches qui finalement étaient juste manipulés à croire qu'un orque était aussi inoffensif (et encore) qu'un chien de compagnie, je comprends les élucubrations littéraires et musicales de certains, où les cétacés, en ayant ras la casquette du mépris et de la folie barbare des humains, supposément supérieurement intelligents, décident de se faire la malle en masse vers d'autres cieux. Parce que tout de même, un animal sauvage dont on ne comprend pas encore tout à fait le mode de vie reste un animal sauvage, et toute domestication n'est qu'une entreprise sinon illusoire, du moins précaire et aléatoire. Ne serait-ce que voir ces masses énormes et gracieuses parquées lamentablement dans ces petits enclos donne presque envie de les voir bouffer les dresseurs comme des sardines avant de fuir pour de bon dans les eaux profondes et calmes qui les ont vu naître pour certains. "Killer whale", "baleine tueuse", pourquoi avec un nom pareille peut-on ensuite prétendre en faire un docile compagnon de jeux stupides. Comment peut-on imaginer qu'un animal qui a connu ou a dans ses gênes les sublimes territoires du vaste océan veuille se contenter d'un parking aquatique et de quelques poissons en guise de retraite anticipée. Tout crie dans leur vie le désespoir, le mal-être et la solitude. Nageoires affaissées, coups de dents entre congénères, instabilité psychologique manifeste, instinct meurtrier qui reprend le dessus de loin en loin, faisant de l'humain une proie aussi valable qu'un phoque sur la banquise qu'imite la plage en béton du parc. Et le pire là-dedans, c'est peut-être que ce cercle vicieux de la captivité se répète inlassablement, faisant d'une bête manifestement indomptable et capricieuse un étalon marin à saillie, une banque génétique ambulante pour les parcs du monde entier, destinée à transmettre sa haine viscérale enfouie pas si profondément, sa nature de prédateur hors pair que l'on essaie d'ensommeiller à sa progéniture qu'il ne verra de toute façon jamais, peu importent les appels désespéré qu'il ou sa mère lanceront du relatif fond de leur bassin d'isolement... L'enfermement dans l'enfermement et la dégénérescence programmée de la race ne peuvent paraître des solutions idéales qu'à une mande de malfrat-magnat aveuglés d'argent et de gloire misérables. Ces gens-là sont les assassins, ces gens-là sont les fous, et ces animaux devraient retourner à leur environnement d'origine, même s'ils ne seront plus tout à fait les mêmes pour le maigre restant de leurs jours.
Alors je me joins à leur plainte insondable et je la traduis en ces mots :
"So long, fuckers, et cette fois we will see our children growing."