Après « Les Duellistes » et le phénoménale « Alien, le Huitième Passager », Ridley Scott enchaine avec une science-fiction bien huilé en interprétation. Il mérite son statut d’auteur, tout comme les scénaristes qui ont adapté le roman de Philip K. Dick. Si le voile du film d’anticipation se confirme, le film emprunte néanmoins une voie plus spirituelle. Dans le roman la Terre est dépeuplée alors qu’ici, elle est surpeuplée. Cette première observation démontre que l’œuvre cherche avant tout à nous ancrer dans un référentiel que nous connaissons afin de mieux titiller la frontière du fictif. Toute la démarche du réalisateur réside dans cette confusion, alliant un côté social et moral tout aussi important. L’identité est une quête permanente pour tout être conscient de son existence. L’intrigue entrevoit ainsi de développer le débat entre la foi et de la raison, une épique collision de genres, de sentiments et d’interprétations.
L’œuvre dépeint alors la fresque hypnotique d’un monde en perdition, bien que le message tende vers l’opposé. Cette constante opposition esthétique propose un contraste nuancé entre les néons lumineux et l’ombre qui l’étouffe, les décors futuristes et réalistes, les décors épurés et pollués. Scott a l’habitude de rendre ses univers visuellement expressifs. Ils invitent d’ailleurs à la réflexion et c’est ce qui se ressent fortement dans le récit. Par ailleurs, si le visuel reste un coup bluffant dans la réalisation, il va de pair avec la bande-son de Vangelis. Optant pour des enregistrements séquentiels, l’émotion est assurée en quelques notes, broyées dans la tension qui étouffe peu à peu le spectateur engagé. Le poison ultime du divertissement prend le monopole de chaque instant pour le rendre aussi éclatant et frais que le précédent. C’est un travail minutieux et rigoureux dont on doit prendre le temps d’apprendre et ressentir. Ainsi, il sera possible d’accéder au savoir pétrifiant qu’est la « vérité ».
Les codes d’un film noir sont assumées, et faire revenir un ancien vétéran répondant au nom de Rick Deckard (Harrison Ford) est de rigueur afin d’en exploiter le cynisme. On comprend par la suite que l’enquêteur s’assimile à la justice et la loi élémentaire. Bien qu’il soit expert dans son domaine, il y a tant de mystères qui entourent ses cibles qu’on laisse les réponses hors-champ, voire hors film afin de susciter plus d’intimité avec l’intrigue. La place de Deckard est d’une importance cruciale mais sa prestation reste modeste et crédible. Il détient la clé de voute de tout un jeu de piste sur les valeurs humaines. Reste à savoir comment extraire l’information que l’on émiette avec parcimonie et subtilité dans un récit déjà riche en moralité et infini en âme.
On introduit alors les Répliquants, des êtres artificiels sur tous les domaines. Limités à des tâches ménagères et coloniales, la révolte prend forme chez quelques-uns. Ils revendiquent leur liberté ainsi que leur existence, notion propre à l’homme où l’attachement à la vie est plus forte que tout. Pourquoi donc réclament-ils l'indépendance ? Il ne s’agit là que d’une métaphore d’une société conditionnée. Elle a beau être minoritaire et plus dangereuse que la plupart, elle restera un paria pour ses dirigeants. Rachel (Sean Young) se trouve mutilée entre sa perception du monde dans lequel elle vit et son passé inexistant. Sa condition de vie rappelle celle d’une enfant que l’on souhaite protéger des nuisances que seuls les adultes peuvent engendrer. Cependant, elle suggère également la place d’une femme fatale, avec un sens unique la désignant comme esclave de sa propose condition.
Roy Batty (Rutger Hauer) est celui qui détaille le conflit moral entre le maître et ses esclaves. Il exprime sa révolte par la violence, au même titre que l’Homme. Or, il décrit le schéma opposé où il combat l’absurdité de la création, à savoir l’orgueil humaine. Il vient alors un moment où l’on doute des qualités de notre héros, et soudain Deckard implose pour se confondre avec le rôle du méchant de l’histoire. Bien entendu, l’importance n’est pas de connaître cette issue qui n’aurait pas de sens à proprement parlé. Les accusations sont portées sur les Tyrell, leur puissance indécente et leur motivation à vendre des fantasmes à leur société. Autrement dit, il s’agit de vendre des mensonges.
« Blade Runner » reste une merveille sur tous les domaines. L’esthétique séduit tout autant que le mystère qui entoure les personnages dont on suit la déconstruction. Scott marque un tournant dans le développement technologique. La pertinence de ses propos a donné raison à sa conclusion, bousculée par la relativité du bien et du mal. Le film nous laisse donc sur une ambiguïté perturbante, mais surtout sur une approche nuancée de l’humanité. Ce qu’il y a de bon n’est pas toujours utile pour tous. Soit on accepte la fatalité du sort, soit on se laisse une chance d’y croire en abandonnant tout derrière. Aucune réponse ne sera satisfaisante et c’est pourquoi il ne faut jamais cesser de renoncer, tout en gardant un recul sur ses émotions !