Los Angeles, 2019. Il y a, dès l’ouverture du film, le saisissement d’une représentation solennelle, vision tétanisante d’une ville devenue mégapole vorace, océan noir, cloaque industriel hérissé de torchères géantes dévoilé dans toute sa magnificence (l'envoûtante musique de Vangelis intensifiant ce sentiment de sombre splendeur), et reflétée dans un œil jusqu’à une éternité de feu, celui de Deckard ou de Holden peut-être, ou bien celui d’un témoin privilégié et omniscient, trop absolu pour qu’on puisse tenter de le définir ou d’en révéler le nom. Il y a même à penser que cette ville soit finalement le personnage central de Blade runner, en tout cas enfer évident et berceau sacré d’une lutte entre Dieu et l’Homme, entre substance et artefact.


Les multiples débats autour du chef-d’œuvre de Ridley Scott ont, au fur et à mesure des révélations apportées par celui-ci et son équipe technique, évolué et gagné en interprétations symboliques, philosophiques et esthétiques. Celle d’une intellection théologique sur l’artificialité de l’homme, et sa lutte d’indépendance (physique et spirituelle) par rapport à son inventeur, s’impose par la force de paraboles diverses (animale, architecturale, religieuse…) et d’un scénario exposant le droit à l’existence au-delà d’une mémoire et d’un libre-arbitre contraints. Dernièrement, la divulgation de la nature androïde de Tyrell a remodifié cette image de puissance veillant ou punissant ses créations, confirmant, de fait, la figure d’un créateur plus inaccessible et plus divin encore (le vrai concepteur des réplicants est un homme reposant, mort, dans un sarcophage situé au plus haut point de l’immeuble de la Tyrell Corporation).


Dans un crépuscule éternel à l’envergure quasi mythologique, les réflexions sur l’essence même de l’humain et sur l’évolution de sa pensée, de sa raison, s’entrecroisent dans les lacis d’une intrigue (et d'un parti-pris stylistique) s’illuminant de la magie des films noirs des années 40, Deckard n’étant pas sans rappeler les privés de Chandler ou Hammett. Mais Deckard n’est (probablement) qu’une illusion lui aussi, programmé pour être un autre, un simulacre, une référence que l’on décharge d’une tâche ou d’un ordre. Ses souvenirs sont-ils les mêmes que ceux de Rachel et de Batty ? Rêvent-ils tous de licornes ou de moutons électriques ? À quelle condition aspirent-ils ? À celle des hommes, capables de développer une morale, des sentiments et des connaissances ? Qui, finalement, possède le plus d’humanité, le plus d’empathie à l’heure des jugements derniers ?


Deckard, épargné de la chute par un Batty christique (la main percée d’un clou, référence possible à la crucifixion), entrevoit, dans les paroles ultimes du réplicant, une renaissance possible, l’accession à une vie où mourir ne serait plus une résignation ni une fatalité, mais une croyance consciente, perceptible et choisie par tous. La réplique finale de Batty, sublime, restera à jamais comme la vérité brûlante et essentielle de cette œuvre intemporelle : "I’ve seen things you people wouldn’t believe… Attack ships on fire off the shoulder of Orion… I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhauser gate... All those moments will be lost in time, like tears in rain… Time to die."

mymp
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le 27 déc. 2012

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