Plusieurs fois dans le film, la Licorne apparait, dans un rêve, dans un origami, cheval génétiquement modifié, cheval fantasmé, à l'image des machines plus humaines que les humains qui peuplent le film et qui sont des réplications modifiées de leurs modèles.
Dystopie futuriste
Mais ce film est d'abord celui de l'obsession du passé dans le futur. Non seulement, le passé est un thème central du film mais en plus il est une marque esthétique.
Ainsi, que ce soit les Répliquants ou Sébastien, ils vieillissent trop vite et l'obsession des premiers est de rajeunir. De plus, les souvenirs, sont ce qui sépare les Répliquants des hommes. C'est donc au passé qu'un homme doit se rattacher pour envisager son futur.
On peut donc dire que Blade Runner est une dystopie, et à double titre : d'une part le film ne représente aucun positivisme, ni aucun avenir tranquille, au contraire, il semble conduire à la mort. D'autre part, il regarde vers le passé.
L'esthétique porte l'empreinte de ce passé : sculptures grecques, architectures anciennes (l'entrée de la résidence Bradbury). D'ailleurs, le progrès technique n'est que suggéré. Jamais, dans le film, on admire des gadgets improbables. On voit encore des journaux, de grosses télés. C'est comme si, au final, le futur n'allait que dans un sens et que le progrès n'existe que dans ce qu'il est destruction puisque tout est factice. On recrée volontiers les objets du passé. Et, alors qu'il existe des répliquants, technologie ultime, Deckard garde de vieilles photos en noir et blanc et Sébastien joue avec de vieux automates.
Dark shadows
Le film est donc inexorablement sombre. Terriblement sombre même. Pas un poil de ciel bleu (si ce n'est lorsque la colombe vole dans le ciel, à la fin), de la pluie, de la crasse, de la misère, une promiscuité malsaine. Une esthétique gothique, démente, avec une architecture cubique.
La vision d'horreur commence au premier plan, avec ces cheminées qui crachent du feu et l'immense pyramide de Tyrell Corporation, bloc monolithique, étouffant et mégalomane.
Un monde de facticité, d'artifice, de violence et d'esclavagisme et une Terre devenue une poubelle bordélique. Les symboles du mal sont là : le serpent, le cri du loup... On voit aussi une vision de l'avenir : un monde communautaire et mondialisé, où l'on parle toutes les langues dans la rue et où toutes les traditions se mêlent.
La musique participe de cet atmosphère évidemment étrange et lugubre.
Douce mélancolie et poétique du mystère
Mais ce qui est extraordinaire, dans le film, c'est que Ridley Scott tire une esthétique, une stylistique même de cette obscurité. La musique est évidement la pierre angulaire de cela. Vangélis a signé ici une des compositions les plus fines, mêlant esthétique byzantine, orientale, asiatique et synthétiseur planant, avec une touche de musique classique, douce.
Le film est en cela éminemment poétique, par son ambiance, mais aussi par ses symboles. La licorne, qui symbolise le rêve et le souvenir, la colombe. On remarquera que le film n'est pas bavard. Les personnages parlent peu mais la narration passe énormément par l'image et les sens cachés.
Mais, on constate que cette poésie vient atténuer la noirceur. Ainsi, la scène d'amour entre Rachel et Deckard est calme. Un morceau de piano, des regards. La musique qui l'accompagne est doucereuse, lancinante et proche du blues. On a donc des moments de répit, magnifiques au demeurant. Le monologue final du chef des Répliquant, sur ce qu'il a vu est à la fois inattendu et émouvant.
Philosophie trouble
Que de parts d'obscurité dans ce film ! La licorne, le rôle et la nature de Deckard, la froideur de Rachel, le silence des personnages (très peu de dialogues au final), et une absence évidente de réponse. Le film a tout pour entretenir son propre mythe, perdu dans la noirceur du monde qu'il décrit.
Je dirais que le film est si foisonnant qu'il reste indescriptible, mystérieux mais du coup, captivant et émouvant. La référence de science-fiction qui inspira tant d'autres films (Le Cinquième Élément, etc..) et de jeux vidéos de tout type, ainsi que de bandes-dessinées. Le film est une rupture dans le genre, rupture esthétique et rupture dans le traitement du futur au cinéma.
Quant aux débats concernant le sens donner au film, je pense que c'est l'absence de réponse et le secret qui font de ce film un monument. Que le secret de la licorne soit bien gardé !