Blade Runner est un film pour lequel j’ai toujours été mitigé. On aura beau dire chef d’œuvre, plusieurs choses dans le film empêchent de pénétrer pleinement dans le spectacle. En cela, deux principaux points noirs. Blade Runner est un film poussif. Il y a régulièrement de longues séquences où il ne se passe rien, où l’action est suspendue. Certes, Ridley veut sans doute s’attarder sur la beauté des décors (magnifiques, nous y reviendrons), mais freiner dans un film de SF pareil en traînant à faire avancer une histoire déjà très simple (franchement, la trame est d’une simplicité enfantine, minimaliste même, et brulant parfois ses cartouches trop vite (la mort du second androïde, très vite expédiée)), c’est jouer avec la patience du spectateur. D’où l’impression finale d’avoir vu un potentiel à peine exploité. L’univers qui s’étant sous nos yeux est fascinant, de quoi remplir largement plusieurs films (société clonant et améliorant le génotype d’animaux de compagnie (et d’humains pour créer une sorte d’esclavage légal), futur américain sur lequel l’apport culturel asiatique a déteint, et évidemment des réplicants qui revendiquent leurs émotions et agissent comme des humains, avec violence et passion). Tout ce mélange est enthousiasmant, évidemment. Cela forme un futur sombre, vivant et fonctionnel. Mais Ridley va à peine au-delà de l’approche esthétique. C’est là, bien dans le paysage, mais ce n’est pas ou peu approfondi (les sentiments des réplicants sont réduits au minimum, la performance de Rutger Hauer dans la dernière demi-heure remonte beaucoup le niveau). Reste la majesté des décors, éblouissante. Le soin apporté aux effets spéciaux est le point fort majoritaire de Blade Runner, tant chaque plan de la cité futuriste devient un régal pour les yeux. Un léger vieillissement pour les effets spéciaux des voitures volantes, mais rien qui ne gâche outre mesure le plaisir de voir un futur aussi cinématographique (sombre, empli de fumée, aux cheminées d’usine côtoyant les immeubles d’habitation…). En fait, le film aurait pu tout emporter simplement avec ses décors, si Vangelis n’avait pas tout foiré. J’adore le travail de Vangelis (1492 restera définitivement une de mes bandes originales favorites), mais ici, pendant les ¾ du temps, la musique déssert le film. Difficile de savoir où ça a merdé, mais si les ambiances du film à l’image imposent quelque chose de sombre, la musique de Vangelis semble avoir été conçue pour un polar plutôt serein, un polar new age, pourrait-on persifler. Résultat : le décalage entre les ambiances musicales et visuelles est tel que bon nombre de séquence perdent de leur charme (souvent au cours des vues aériennes de la ville). Le meilleur exemple doit être l’exécution du premier réplicant, abattu par Harrison Ford dans un magasin de vêtements. Les images sont sublimes, le ralenti excellent… et la musique complètement à côté de la plaque, voulant jouer sur un décalage mélancolique raté. La musique de Vangelis est bien, mais pas pour Blade Runner (seul le thème principal aurait convaincu, manque de pot, il n’arrive qu’à partir du générique de fin). Restent, en plus des décors, de nombreuses initiatives (Harrison Ford est un anti héros qui tombe logiquement amoureux d’une réplicante, parcours intéressant réduit à peu de choses : un morceau de piano, une étrange étreinte, une fuite) viennent enrichir le projet. A défaut de convaincre (le côté SF concernant les réplicants est décevant, en dehors des dialogues avec le créateur des réplicants, ne s’embarrasse pas de détails), le film ouvre une fenêtre sur un monde fascinant, avec toujours le style visuel de Ridley qui flatte immédiatement la rétine (magnifiques éclairages, effets spéciaux à tomber (on remarque même le soin apporté aux yeux des réplicants)), en nous offrant une ballade futuriste ultra ambitieuse qui tire son épingle avec les à-côtés.