Un Los Angeles lugubre et lavé par des pluies continues en guise de décors, un avenir sombre où tout devient artificiel, même les humains, et toujours du sang coulant à flot dans de sordides ruelles, voilà où nous emmène Ridley Scott lorsqu'il adapte Philip K. Dick.
Dès les premières secondes, le metteur en scène britannique propose de sublimes images, mêlées à une atmosphère pessimiste et sombre ainsi qu'une fascination qui ne fera que s'accroître. On se retrouve plongé dans cet univers qui ne nous laisse pas de répit, et surtout qui se révèle régulièrement sous tension et teinté de diverses sensations, jusqu'à nous laisser à terre comme si on encaissait un uppercut dont on aurait du mal à se relever.
Ridley Scott contrôle tout à la perfection, faisant en sorte que tous les éléments soient en adéquation avec l'ambiance. La bande-originale colle parfaitement aux images, les décors et la photographie sont sombres et immersifs à souhait, sa caméra capte magnifiquement les personnages et émotions, notamment lorsqu'il se rapproche des visages et laisse les expressions et regards en dire bien plus que n'importe quel mot. Usant d'un montage efficace, il permet à l'oeuvre de constamment tutoyer la perfection, sachant aussi faire monter la tension lors de plusieurs séquences mémorables à l'image du puissant et touchant monologue de Roy Batty, de la course-poursuite dans les rues de Los Angeles ou encore des rencontres entre Rick Deckard et Rachel.
Si le réalisateur d'Alien démontre une implacable capacité à créer une ambiance forte avec les images, les décors ou encore la musique, il n'en oublie pas le scénario et les personnages, qui sont d'ailleurs tous très bien interprétés. Ces derniers sont passionnants et complexes à souhait, on n'a pas besoin d'en savoir beaucoup sur eux pour être intrigué et fasciné, et jusqu'au bout, on est tenu en haleine vis-à-vis du sort qui leur est réservé. Chaque mot ou réplique sonne juste, et il montre une certaine habilité à s'en passer pour mieux faire ressortir l'intensité venant d'eux, ainsi que les angoisses silencieuses se dégageant de l'univers qu'il met en place.
Se montrant ici maître dans l'anticipation, il n'en oublie pas ce qui fait une grande partie de l'intérêt de la science-fiction, à savoir les réflexions sur l'humain, ce qui nous définit ou encore sa capacité à détruire tout ce qu'il touche. Il propose plusieurs subtils degrés de lecture, et à chaque nouvelle vision on peut découvrir de nouveaux éléments. Il ne dévoile pas forcément tout et laisse planer un soupçon énigmatique sur les personnages et enjeux, ainsi que sur quelques symboles, à l'image de la crucifixion de Roy Batty. Il se montre audacieux pour créer une alchimie entre tout cela, déborde d'idées ingénieuses et surtout, laisse le spectateur sans voix face à une telle expérience.
Blade Runner mettra du temps pour acquérir la notoriété qu'il a aujourd'hui et le nombre de visions n'affecte jamais la fascinante impression de perfection qui s'en dégage, tant Ridley Scott parvient à créer un univers intense, sombre et propice à la réflexion, avec des personnages forts et une atmosphère lugubre, philosophique et d'une rare intensité.