En 1979, Ridley Scott s'intéressait déjà à ce qui fait l'Homme. Il utilisait pour cela le genre de l'horreur. La peur représentait pour le réalisateur la manifestation la plus primale de l'humanité dans ce qu'elle a de plus fondamentale : l'instinct de survie.
Quite an experience to live in fear, isn't it ?
1982, et la peur est encore au milieu des préoccupations des personnages du nouveau film du réalisateur. Elle n'est plus viscérale et bouillonnante comme dans Alien, plutôt existentielle et glaciale. Dans Blade Runner, les personnages ne sont plus mis face à la mort, mais plutôt la mort les suit depuis toujours. Le xénomorphe était le symbole de vie parfaite par sa capacité exceptionnelle à survivre, mais désormais, c'est le monstre lui même qui a peur de la mort.
Le spectateur trouve en effet en Roy Batty un méchant à la hauteur de ses espérances les plus folles. Probablement car ce personnage, plus que n'importe quel autre dans le film, est le héros, celui dont le voyage initiatique l'amènera a un état de conscience supérieur. Rick Deckard et son cynisme ne seront finalement que les témoins privilégiés de cette évolution.
Témoigner, voilà ce qui importe dans Blade Runner. Le film s'ouvre sur un œil contemplant le monde. Celui de Deckard, donc, mais également celui de Batty, dont les expériences finiront par faire de lui un être à part entière. Il s'agit cependant avant tout de l’œil du spectateur (le gros plan va d'ailleurs en ce sens, l'écran comme miroir de notre réalité). Le rythme à la lenteur exacerbée et l'avarice en mots donne au spectateur l'opportunité de découvrir le film par lui-même : un effort devra être effectué pour comprendre les motivations des personnages et leurs actions.
Le spectateur est donc mis en situation de contemplation, soit un rôle à la fois d'observateur du monde, et d'observateur de soi-même. C'est bien cette contemplation qui permet la certitude de l'existence. "Je pense, donc je suis".
Mais cette capacité à la contemplation vient avec un prix : la prise de conscience de la mort. Et fatalement, la peur qui en découle.
Possibilité de contemplation et peur de la mort : c'est acté, les réplicants possèdent les mêmes attributs que les êtres humains.
Roy Batty nous ferait même penser qu'ils sont capables d'aller au-delà. Tuer permet d'obtenir l'illusion de contrôle sur la mort. Mais ce n'est qu'une illusion. On tuera son Dieu pour prendre conscience de l'irrationalité du monde. On sauvera l'Homme pour accepter la mort, et enfin devenir immortel. Car après tout, tout ça n'a que bien peu d'importance...
All those moments will be lost in time, like tears in rain.
Time to die.