Malgré tout son talent, on pouvait légitimement avoir des doutes quand à la capacité de Denis Villeneuve à venir réaliser une suite au chef d'oeuvre culte de la SF d'anticipation qu'est Blade Runner. Hormis le fait qu'une telle entreprise soit aberrante à entendre, pourquoi faire une suite à Blade Runner ? Le style épuré du réalisateur canadien laissait penser qu'il n'était pas l'homme de la situation même si son côté froid et très carré était en accord avec l'esprit du premier film. Mais après une première tentative pas vraiment concluante avec la science-fiction dans Arrival, oeuvre bancale et peu inspirée passé son premier tiers assez fantastique, on pouvait se dire que ce Blade Runner 2049 risquait d'être un des plus gros ratés de 2017. Pourtant, comme bon nombre de critiques s'accordent à le dire, un miracle a bien eu lieu.


La principale bonne idée du film est d'ailleurs de ne pas avoir voulu s'imposer comme une suite à proprement parlé. Même si des liens seront fait avec le premier film, ils restent au final assez minime, l'intrigue venant s’intéresser au destin d'un nouveau protagoniste et adopte par la même occasion une tonalité et un propos relativement différent de son aîné. Se refusant à n'être qu'une pale copie du précédent opus, Blade Runner 2049 développe son propre univers, étend et modifie celui déjà mis en place pour l'amener vers des confins inexplorés jouant sur la mélancolie de son message plutôt que de s'imposer comme un objet poseur à la gloire de la nostalgie éprouvée face à l'oeuvre culte de Ridley Scott. Une telle cassure avec l'oeuvre d'origine pourrait même perturber le fan qui rejettera par la même occasion cette suite, passant à côté des formidables choses qu'elle a à offrir.


Ici il ne s'agit plus de venir interroger la condition humaine par le biais d'un affrontement symbolique entre deux individus, le premier Blade Runner reposant beaucoup sur les questionnements qui découlent de la quête de Deckard et de Roy, l'un remettant en cause sa place dans le monde tandis que l'autre cherche à l'affirmer pour contrer sa propre mortalité, ni même de questionner la nature de son protagoniste. Par bien des aspects, Blade Runner 2049 est une oeuvre moins ample, spontanée et avant-gardiste que le premier opus. Mais le film n'a pas la prétention de prétendre à tous ça, sacrifiant les interrogations pour une approche plus définitive recentrant ses enjeux à une échelle plus humaine, presque individuelle. On ne soulève plus des questions aux proportions majeures pour favoriser l'émotion. Car derrière son apparente froideur, se cache une oeuvre plus sensible et tragique que ne l'était le film de Scott. Villeneuve laisse volontairement de côté la charge politique et les grands enjeux (probablement pour ouvrir les portes d'une suite) pour se recentrer sur le parcours de son héros.


A travers son protagoniste, merveilleusement bien écrit, Villeneuve brosse une fresque souvent bouleversante sur la signification d'une vie. Restant fidèle à ses thématiques, il les met au cœur de son récit pour interroger l'identité et le fantasme à travers les rêves de ses personnages. Chaque individus du récit est guidé par la quête d'un idéal que ce soit à travers la recherche de perfection des antagonistes ou tout simplement trouvé une connexion émotionnelle dans le cas du protagoniste. Ce qui mue sa soif de vérité découle de son besoin de trouver quelqu'un pour qui il représentera quelque chose, la vie ne prenant sens qu'à travers ceux qui sont là pour la chérir. Dénué de véritables connexions, les personnages sont des fantômes monolithiques déconnectés des uns des autres et qui se plongent dans leurs désillusions pour donner un sens à leurs rêves et obsessions. Ceci est parfaitement symbolisé par la relation entre K et sa petite amie virtuelle, qui ne sert avant tout que de fonction pour alimenter les questionnements du personnage principal et qui apporte une perspective intéressante au propos d'ensemble. C'est aussi mis en avant par Luv, personnage enfermé dans son complexe du père qui cherche à trouver grâce aux yeux de son créateur.


Embourbés dans leurs fantasmes, les personnages alimentent l'esthétisme du film dans une société régit par la soumission et la beauté. Les réplicants n'étant que des humains sans le moindre défaut, à la plastique parfaite et soumis au bon vouloir des autres. Habile réflexion sur les rapports humains, Blade Runner 2049 interroge surtout le rapport à l'image de son spectateur, entre des figures féminines ultra-fantasmées et un protagoniste qui est synonyme de perfection masculine, il vient dresser une parabole pertinente sur le rapport au corps. Le fantasme venant se confronter à la réalité et le vrai s'entre-mêle au faux. Dans ses derniers instants, Blade Runner 2049 apparaît donc comme une formidable oeuvre sur la désillusion, le temps qui passe et l'effervescence des souvenirs. Il est même particulièrement brillant lorsqu'il soumet son spectateur à cette même désillusion lorsqu'il utilise les ressorts de son récit de manière totalement attendu avant de redistribuer les cartes de façon très intelligente dans son dernier tiers. Après on pourra lui reprocher d'être trop explicatif sur certains points, ou encore d'avoir des figures antagonistes beaucoup trop caricaturales donnant un côté un brin trop manichéen au récit. De plus, les raccords de l'intrigue avec le premier film peuvent paraître accessoires, le film aurait pu exister sans finalement faire référence au premier Blade Runner. Mais ce sont de petits défauts qui n'entachent pas le brio mis à l'oeuvre.


Car en dehors de son scénario savamment écrit, Blade Runner 2049 peut aussi compter sur deux arguments de poids, son casting et sa réalisation. Le casting est excellent, même les rôles les plus caricaturaux trouvent des acteurs suffisamment talentueux pour leur donner une substance. On pense notamment à Jared Leto qui même si peu présent arrive à donner un aura fascinant à son personnage malgré ses limites d'écritures. Mais la vraie force du casting vient de Ryan Gosling. L'acteur est quasiment dans chaque plans et s'impose par son charisme mais aussi par l'incroyable dextérité de son jeu. Souvent monolithique, il arrive avec force et subtilité à immiscer le doute chez son personnage et l'humanise grâce à une performance fiévreuse qui passe surtout par un intense jeu sur le regard. L'acteur prouve surtout qu'il est une des figures les plus tragiques du cinéma actuel, arrivant avec justesse et émotion à retransmettre l'humanité chez un personnage avec des prestations souvent minimalistes. Il est bouleversant. Dans une moindre mesure, Harrison Ford impressionne aussi, laissant son ego de côté pour une présence qui sait s'effacer. L'acteur n'a pas été aussi humble et digne dans son jeu depuis un certain temps déjà, offrant une performance plus sensible et moins iconisée.


Pour ce qui est de la réalisation, Denis Villeneuve et Roger Deakins se sont surpassés. Car ici plus que jamais, Villeneuve doit beaucoup à son directeur de la photo qui à totalement recrée l'univers de Blade Runner tout en étant fidèle au film d'origine. Il se décentre de l'aspect trop urbain et ténébreux du premier pour y apporter une diversité bienvenue dans les décors. On y découvre la neige et des environnements parfois plus lumineux. Deakins délaisse les teintes bleutés et la nuit pour des couleurs plus organiques, des teintes plus orangés et beaucoup plus dans ce qui fait ça marque de fabrique. Deakins à une vraie fascination pour les couleurs chaudes et arrive habilement à les utiliser pour créer des ambiances froides, notamment grâce à un traitement de la lumière très diffus, laissant souvent les personnages et les décors dans la pénombre pour justement jouer des contrastes car c'est à travers la lumière que se reflètent les ombres. Son association avec Villeneuve en est d'autant plus brillante car le metteur en scène s'est parfaitement comment canaliser le style de son chef op pour le soumettre à sa mise en scène. Denis Villeneuve marque le film de son empreinte avec son identité qui transpire dans chaque plans avec son travail très précis sur la symétrie, notamment avec son travail très pointu sur les lignes de fuites, pour offrir un rendu vertigineux. Le film est somptueux et bourrés d'idées visuelles absolument géniales souvent d'influences japonaises mais parvenant à créer une identité visuelle assez unique. Villeneuve marque les textures pour un rendu palpable qui souligne le travail sur les corps et donne un aspect authentique à l'univers. Tout paraît réel et marquer par le temps grâce à ce travail minutieux sur l'image qui donne l'impression de pouvoir être toucher, le visage de Gosling y dévoile même toute ses nuances. Mais Villeneuve ne s'arrête pas là et offre des idées de mise en scène audacieuse comme une des scènes de "sexe" la plus hypnotique et touchante de récentes mémoires mais aussi des morceaux de bravoures à l'efficacité imparable. Aussi très contemplatif, il sait faire respirer son film offrant un blockbuster au rythme lent mais jamais ennuyeux grâce à une science du montage précise qui favorise l'ambiance et le jeu des acteurs plutôt que la frénésie de l'action. Une atmosphère qui se révèle d'ailleurs fantasmagorique et apaisante qui nous donne l'impression d'être dans un rêve, parfaite souligné par le score entêtant et inspiré d'Hans Zimmer et Benjamin Wallfish.


Blade Runner 2049 ne marquera pas le cinéma de la même manière que le film de Ridley Soctt avait pu le faire, mais il laissera une marque indélébile aux spectateurs qui saura s'y risquer, ne serait-ce que pour sa prouesse visuelle. Le film de Villeneuve est beau à s'en damner mais il cache surtout une oeuvre sensible et bouleversante sur les liens humains et l’effervescence des souvenirs. Réflexion sur les fantasmes face à la réalité, Blade Runner 2049 trouve un propos beaucoup plus touchant et tout aussi universel que son aîné même si il n'en n'as pas la spontanéité ou l'aspect avant-gardiste. Reste un blockbuster flamboyant comme on en voit que trop rarement qui s'est autant divertir que faire réfléchir dans un spectacle qui fait vibrer par la maestria de son savoir-faire. Ne confondant jamais la nostalgie à la mélancolie, le film s'affranchit de la meilleure manière possible de son héritage pour trouver sa propre voie et offrir une oeuvre qui se révèle différente mais tout aussi pertinente. On restera longtemps avec ses sublimes visions en tête et le souvenir de K, un des protagonistes les plus attachants et mieux écrit depuis très longtemps dans un blockbuster. Car Blade Runner 2049 ne révolutionnera pas l'industrie cinématographique ou la manière de faire les films, mais saura hanter les souvenirs et marquer de son empreinte les spectateurs parce qu'il est, comme son aîné, un grand film.

Frédéric_Perrinot
10

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le 9 oct. 2017

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Flaw 70

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