Avant de devenir un chef d’oeuvre unanimement reconnu par la presse, Blade Runner fût froidement accueilli lors de sa sortie en salle à l’été 82, occulté par celle de E.T. l’Extraterrestre d’un certain Steven Spielberg. Le public de l’époque n’a pas forcément sût aborder ce récit d’anticipation sous le bon angle, pensant s’attendre à un divertissement grand spectacle dans la veine lignée de La Guerre des Etoiles. Cette confusion de genre auquel le département marketing s’est retrouvé confronté fait suite à une gestation particulièrement conflictuelle entre le réalisateur qui voulait tourner un néo-noir et ses producteurs qui espéraient un film orienté action. Le tournage occasionna lui aussi quelques bisbilles entre Ridley Scott et ses équipes techniques qui lui chiaient copieusement dans les bottes, tout comme sa star Harrison Ford qui se dissipait comme un écran de fumée à l’arrière-plan ce qui créa un malaise sans précédent. Pour ne rien arranger, les projections-tests furent catastrophique ce qui obligea le studio a opérer à plusieurs coupes franches et à imposer une voie off sur-explicative dont le public se serait certainement bien passé. Pourtant toutes ces réécritures incessantes et ces remontages intempestifs auront quelque part permis de façonner sa légende, et d’accoucher de la forme ultime de ce Final Cut. De son horizon se confondant à la constellation d’Orion, sa cité babylonienne, ses tours monolithiques, ses structures pharaonique, ses publicités omniprésente, ses rues bondées et ses artères bardé de néons, cette plongée immersive dans cet univers d’anticipation témoigne de ce que les affres de la création peuvent parfois engendrer de meilleur.


Dans sa représentation d’un avenir dystopique mêlant voitures volantes, technologie rétro-futuriste et bric à brac clinquant, Blade Runner va participer à ériger le mouvement cyberpunk tel qu’on le connaît aujourd’hui. Son urbanisme est le fruit d’une collaboration avec le designer industriel Syd Mead qui a permis d’ériger l’une des plus belle cités de l’histoire du 7ème art, l’une de ses plus décadente aussi. L’environnement possède une densité vertigineuse qui ne révèle jamais ses artifices grâce aux soins apportés à ses effets d’éclairages (néon et fibre optique). Cet amoncellement de différentes influences, styles et architectures se mêle à un véritable choc des cultures. La caméra mobile participe à renforcer l’immersion au sein de ce décor qui nous apparaît déshumanisé, décrépit, comme laissé à l’abandon. Cette ville qui semblerait avoir été digéré par la mondialisation raconte à elle toute seule une histoire, celle de l’exode des populations les plus fortunés qui ont depuis longtemps quitter la maison mère pour partir s’établir dans des colonies. C’est de cette division entre cette caste du ciel et ceux du bas que vont naître les replicants, ces êtres synthétiques destinés à servir de main d’oeuvre bon marché pour leur incomber les tâches les plus dures et ingrates quant ils ne sont pas destinés à écarter les jambes. Scott qui a toujours trouvé les œuvres de Phillip K Dick confuses et prise de tête a préféré mettre l'emphase sur sa mise en scène plus que sur les questionnements d’ordre philosophique ou moral. Les troubles identitaires, le futur de l’humanité face aux révoltes de l’IA, les problèmes écologiques sont autant de sujets et de thématiques récurrente de l’auteur qui seront brièvement esquissé et réduit à leur plus simple portée évocatrice. Rien ne viendra jamais occulter les principaux enjeux du film qui se borneront à une enquête policière fourmillant d’indices et de piste, d’interrogatoires et de confrontations musclés ainsi que d’une romance impossible.


Nous nous retrouverons donc avec tous les archétypes du film noir, les éclairages expressionnistes constitués de ton sombre et claires obscures, la mélodie cafardeuse aux accents jazzy, la pluie incessante, l’enquêteur cynique et désabusé porté sur la bouteille, la brune ténébreuse… L’introduction interroge déjà l’œil hagard du spectateur sur ce qui définit notre humanité, les Replicants étant dotés de raisonnement, de sang et de sentiments mais aussi comme ces Nexus 6 de dernière génération, d’un libre-arbitre. C’est ce libre arbitre qui conditionne l’instinct de survie de Roy Batty et de ses compagnons, les poussant à revenir sur terre pour cause d’obsolescence programmée, dans l’espoir de glaner quelques années de vies supplémentaires auprès de leur créateur, le puissant PDG de la Tyrell Corporation dont la pyramide domine les hauteurs de la ville. Rick Deckard sera alors missionné de les traquer. Débusquer un Replicant implique néanmoins de passer un interrogatoire sous la forme d’un test nommé Voight-Kampff, une mécanique antique presque organique, respirant à l’aide d’un soufflet censé déterminer une réponse d’ordre émotionnel à une batterie de questions formelles. Si l’interrogé fait mine de nervosité, cela suffit à séparer le bon grain de l’ivraie ce qui constitue un paradoxe si on considère que le policier qui le lui fait passer n’affiche aucun état d’âme et emploi des questions impersonnelles que l’on écrit pour lui. Tout le film sera ainsi parcouru par cette ambivalence thématique y compris sur le plan plastique (juxtaposition de matte-painting, plan composite, miniatures et maquettes) et formelle afin de mettre en lumière cette opposition entre réel et superficiel et de les confondre pour semer intentionnellement le trouble dans l’esprit du spectateur qui finira par s’interroger sur ce qui définit réellement notre humanité. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc non plus, simple question de point de vue. Deckard pouvant être perçu comme l’antagoniste de Batty et donc comme le méchant de toute l’histoire, d’autant que sa cible saura faire preuve de plus d’empathie à son égard bien que malheureusement pour lui, apprendre à vivre, c’est aussi devoir apprécier l’inéluctable. Le montage de ce final cut réintroduit également la fameuse licorne de la discorde effacée du montage d’origine et qui laisse figurer une intrigue sur laquelle nous nous garderons bien de débattre ou d’affirmer une quelconque hypothèse. Le réalisateur lui fera moins de mystère en glissant ce message sans équivoque qui prend la forme d’un papier d’origami sur lequel est écrit : « je sais tout ».


T’aimes l’odeur du blaster fumé au petit déjeuner ? Tu rêves de pouvoir voyager à travers d’autres dimensions afin de quitter ce monde de cons ? Rends-toi sur L’Écran Barge où tu trouveras toute une liste de critiques dédiées à l’univers de la science-fiction, garanties sans couenne de porc.

Le-Roy-du-Bis
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le 19 août 2024

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