Blancanieves a tout de la fausse bonne idée, déjà vue et a priori dispensable : muet et noir et blanc, réécriture du conte chez les toreros ( !) kyrielle de singularités qui plombent autant qu’elles vendent un projet comme forcément unique en son genre.
Force est de constater que le parti pris est exploité à merveille. La mise en scène, dès le début du film, frappe par son expressionnisme et réussit le pari de renforcer sa puissance visuelle par ses manques : la narration est puissante, les prises de vue travaillées et les visages marquants. En installant son intrigue au début du siècle et par de nombreuses références au cinéma naissant, le cinéaste rend hommage aux balbutiements de son art et son intrusion dans l’imaginaire : c’est le flash fatal de la séquence initiale dans l’arène, la lanterne magique comme témoin du souvenir pour la petite fille, ou encore la scène grotesque des photographies mortuaires.
Très émouvant dans son évocation de l’enfance, le film alterne entre les prises de vue d’une grande fluidité, caméra embarquée à hauteur de la jeune fille, ou de sa poule, chorégraphiant dans un même mouvement l’identité sévillane à travers le flamenco et la tauromachie. A cette poésie de l’harmonie s’oppose les cadres carcéraux de la demeure de la belle-mère, plongées et contre plongées dans des escaliers menaçants où le tableau d’un père dans sa gloire défunte exalte la puissance mortifère d’une iconicité moribonde. Les scènes de retrouvailles avec le père paralytique sont ainsi l’un des sommets de cette première partie (et malheureusement du film entier) : initiant sa fille à l’art de toréer, immobile face à un taureau empaillé, l’homme dont le seul visage parvient encore à exprimer l’émotion n’est rien d’autre que la mise en abyme du projet tout entier : handicapé du son et des dialogues, le film parvient à générer une émotion, une motion purement visuelle et singulièrement bouleversante.
Cette première partie n’est pourtant pas exempte de défauts. A trop vouloir faire sa leçon de cinéma, Pablo Berger s’égare par instants dans les excès de l’exhaustivité formaliste : mêler Eisenstein, Murnau et Lang peut s’avérer quelque peu indigeste et la saturation est atteinte par moments. Mais celle-ci fait partie du jeu, de la même façon que les hyperboles de la figure de la marâtre sont un attendu du conte. Le problème est d’ailleurs là : qu’il faille, finalement, après cette fin de l’enfance qui scinde le film en deux, retrouver les rails du texte des frères Grimm. L’arrivée des nains, l’émancipation de la jeune fille ou la concurrence avec sa belle-mère n’ont de loin pas l’intensité des débuts. Plus gênant encore, la surenchère des effets, (la poule dans l’assiette, le père qui regarde depuis les nuages) et l’allongement des séquences (flashbacks, applaudissements à outrance) plombent définitivement la magie générale.
Si l’ultime séquence permet une exploitation assez fine du conte originel, le baiser du prince se transformant en une forme de prostitution humiliante, la splendeur s’est tout de même évaporée depuis un certain temps. A trop vouloir rendre hommage et s’inscrire dans une traduction, le récit finit par perdre tout ce qui faisait sa saveur et se délaye dans une maladresse fortement regrettable.