Magie éternelle
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Long-métrage d'animation de William Cottrell, David Hand, Wilfred Jackson, Larry Morey, Perce Pearce et Ben Sharpsteen (1937)
La création du film Blanche-Neige et les 7 nains commence avec un homme : Walter Elias Disney. Après plusieurs années à rencontrer le succès à Hollywood avec ses courts-métrages animés, dont ceux ayant pour héros le célèbre Mickey Mouse, il décide au cour des années 30 de se lancer un défi jamais vu jusque-là dans l’histoire du cinéma américain : réaliser un long-métrage animé. Pour l’époque, l’entreprise est colossale, l'obligeant d’engager des fonds importants. En effet, il faut embaucher de nombreux dessinateurs talentueux et exploiter des techniques révolutionnaires en terme d'animation avec, par exemple, l'utilisation d'une caméra multiplane, outil permettant de donner à l'image et à son décor un sentiment de profondeur renforcé.
Mais avant de réaliser ce projet fou, il se pose évidemment la question de savoir quelle histoire retranscrire sur le grand écran. Durant l’âge d’or hollywoodien, les grands studios avaient pour habitude d’adapter de grands classiques de la littérature européenne. Ce choix était doublement stratégique. Tout d’abord, il permettait aux studios de montrer leur volonté de diffuser de la haute culture à travers leur média, et ce, afin de placer le cinéma sur un pied d’égalité avec les autres arts comme la littérature ou le théâtre. Deuxièmement, adapter un ouvrage classique implique de diffuser à l’écran une œuvre que les gens connaissent déjà bien, garantissant ainsi au film une certaine publicité et renommée avant même sa première date de diffusion.
Walt Disney suivit cette approche et choisit donc naturellement d’adapter un conte de fées qui était alors un genre littéraire venu d’Europe fort reconnu et en plus, convenant parfaitement à la jeunesse, public cible de sa production. D'ailleurs, Disney avait une grande affinité avec le conte de fées, lui qui avait vécu toute son enfance entouré par les ouvrages des frères Grimm et de Christian Hans Andersen. La question était alors de savoir quel conte adapter. Après quelques hésitations, le choix se porta sur Blanche-Neige des frères Grimm. Pour Disney, le choix était parfait car le conte disposait de tous les ingrédients nécessaires pour faire un bon film : une belle et jeune princesse dans le rôle de l'héroïne principale, un prince charmant pour la romance, des nains pour l'humour et une terrible sorcière pour le danger. L'alchimie était parfaite.
Toutefois, si Disney choisit d'adapter la version de Blanche-Neige des frères Grimm, il s'inspira aussi des éléments d'autres ouvrages tels qu'European Folk and Fairy Tales de Joseph Jacobs et Fairy Tales de Marion Florence Lansing
C'est un question intéressante à se poser car après Blanche-Neige, Walt Disney continuera à puiser dans les contes des frères Grimm, notamment La Belle au Bois dormant, pour réaliser ses productions. L'explication se trouve certainement dans le fait que les histoires des auteurs allemands entrent parfaitement en accord avec la vision de Disney. Le merveilleux des Grimm est en effet rempli de féerie et d'éléments magiques qui, contrairement aux contes français, ne sont jamais expliqués ou rationalisés. Cyrille François, auteur de l'ouvrage Les Voix des Contes, l'explique ainsi en parlant des contes de Grimm : « L'histoire est située dans un monde atemporel, féerique, où les lois de la nature ne s'appliquent pas de la même manière que dans notre monde ».
Pour illustrer cette différence entre les contes des Grimm et de Perrault, Cyrille François s'appuie sur les différences entre les deux contes de La Belle au Bois dormant. Dans le conte allemand, le surnaturel apparaît tout de suite avec une grenouille prédisant à la reine la naissance de la princesse. Dans la version de Perrault, la reine tombe tout simplement enceinte sans qu'il n'y ait une apparition ou prophétie magique.
C'est donc dans ce merveilleux total que réside la principale affinité qui existe entre Disney et les Grimm. En plongeant leurs contes dans un monde totalement imaginaire, les frères Grimm éloignent ceux-ci de toute réalité, ce qui minimise ainsi toute présence de référence culturelle ou historique, à contrario des contes de Perrault qui, par leur style, s'inscrivent complètement dans le siècle des Lumières en France. Les contes des frères Grimm revêtent donc leur histoire d'un certain universalisme, ceux-ci ne s'inscrivant réellement dans aucune époque ou contrée réelle. Cet aspect devait beaucoup plaire à Walt Disney, lui qui voulait justement réaliser des films à caractère universel, pouvant être vus par les enfants du monde entier (et ainsi par la même occasion, augmenter les recettes au box office).
De plus, puiser dans les oeuvres des Grimm offre un grand choix de contes à adapter, ceux-ci ayant rédigé un énorme recueil (Kinder- und Hausmärchen) contenant plus de 50 contes qu'ils remanièrent durant toute leur vie. Leur but avec cet immense recueil était de retranscrire toutes les histoires folkloriques et légendaires racontées oralement dans les contrées germaniques. Ceux-ci l'expliquent d'ailleurs au début de leur recueil : « En ce qui concerne la façon dont nous avons collecté ces récits, c'étaient la fidélité et la vérité qui nous importaient en premier lieu. En effet, nous n'avons rien ajouté de nos propres moyens, n'avons embelli aucune circonstance ni aucun trait de la légende, mais au contraire, nous avons restitué leur contenu tel que nous l'avions reçu ; que l'expression et le développement des détails viennent de nous pour l'essentiel, cela va de soi, mais nous avons cherché à conserver toutes les particularités que nous avons remarquées pour laisser, à cet égard du recueil également, la variété propre à la nature. »
Il y a donc un véritable travail de sauvegarde du patrimoine culturel même si, comme expliqué ci-dessus, les auteurs conçoivent le conte avant tout comme un récit universel, qui n'est pas lié, comme les légendes, à une région ou à une époque déterminée.
Disney poursuit ce même but d'histoire universelle et cela se voit avec l'univers qu'il crée dans chacun de ses films. Certes, il cherche à leur insuffler une atmosphère européenne, continent d'origine de ces contes, mais tout comme les Grimm, il ne cherche pas à les relier à une région ou une époque déterminée. Ainsi, dans Blanche-Neige, si plusieurs décors (la chaumière des sept nains et le château de la Reine) sont inspirés des toiles de l'artiste romantique allemand Adrian Ludwig Richter, d'autres lieux comme la cour intérieure ou le laboratoire de la méchante Reine sont repris respectivement des films Roméo et Juliette (1936) de George Cukor et Docteur Jekyll et Mr Hyde (1931) de Rouben Mamoulian qui sont deux adaptations d'oeuvres britanniques. Disney prend donc plusieurs éléments populaires de différentes cultures pour les mélanger ensemble, créant ainsi un monde unique, ne se rattachant pas à quelque chose de précis.
Pour revenir sur l'universalisme voulu par les Grimm, celui-ci s'explique également par la conception qu'ont ceux-ci du conte de fées. Selon eux, les contes sont des dérivés des grands mythes hindous, grecs ou romains qui raconteraient tous la même chose. Marthe Robert, dans sa préface sur les contes des frères Grimm, explique : « Ainsi les frères Grimm et les savants de leur école croient pouvoir expliquer les contes par les mythes dont ils dérivent, en ramenant les uns et les autres à une seule théorie : pour eux, contes et mythes sont la représentation du grand drame cosmique ou météorologique que l'homme, dès l'enfance de son histoire, ne se lasse pas d'imaginer. Rien de plus simple, dès lors, que d'interpréter, sinon le détail, du moins le dessin général de chaque conte : si les personnages mythiques sont les personnifications des phénomènes naturels, astres, lumière, vent, tempête, orages, saisons, il faut comprendre la Belle au Bois Dormant comme le printemps ou l'été engourdi par l'hiver, et la léthargie où elle est plongée pour s'être piqué le doigt avec la pointe d'un fuseau, comme le souvenir de l'anéantissement dont les dieux aryens sont menacés au seul contact d'un objet aigu. Il s'ensuit que le jeune prince qui la réveille représente certainement le soleil printanier. »
Cette représentation cosmique des contes, chère aux yeux des Grimm, a été grandement effacée des films de Disney mise à part le tout premier Blanche-Neige. Difficile de dire si Walt était conscient ou non d'ajouter cette dimension cosmique mais force est d'admettre que le personnage de Blanche-Neige est une représentation du soleil. En effet, il suffit de voir les scènes se déroulant au château de la Reine : lorsque Blanche-Neige y est présente, l'endroit est ensoleillé mais lorsqu'elle disparaît, le soleil disparaît également et plonge le royaume dans une nuit sans fin.
De plus, exactement comme dans l'exemple de La Belle au Bois Dormant, Blanche-Neige prend également l'apparence de l'été qui disparait, une fois l'automne arrivé, et qui se fait réveiller par le soleil printanier caché sous la forme du prince. Cela est symbolisé de manière astucieuse et simple dans le film : lorsque Blanche-Neige mange la pomme et s'endort, les branches des arbres perdent leurs feuilles, montrant que l'automne arrive, tandis que lorsqu'elle est réveillée par le baiser du prince, les branche recouvrent leurs feuilles, signe de la venue du printemps.
Cette représentation de Blanche-Neige correspond bien à celle du conte original qui symbolise également l'héroïne comme une forme diffuse du soleil. D'ailleurs, c'est cette incarnation solaire de la princesse qui expliquerait qu'il y ait exactement 7 nains dans le conte comme le souligne Bruno Bettelheim dans son livre Psychanalyse des Contes de fées : « D'une certaine manière, la beauté parfaite de Blanche-Neige semble dériver d'une façon très lointaine du soleil ; son nom évoque la blancheur et la pureté d'une forte lumière. Selon les anciens, sept planètes tournaient autour du Soleil, d'où les sept nains qui gravitent autour de Blanche-Neige. »
Autre élément présent dans les contes des frères Grimm, ainsi que dans les autres contes en général, et qui est respecté voire même amplifié dans les productions Disney, c'est le fait que les animaux ou les objets sont dotés de la parole, ou du moins entretiennent des rapports de dialogue avec le héros de l'histoire. Pour reprendre Blanche-Neige et les sept nains de Disney, on pensera immédiatement au miroir magique qui répond aux questions de la méchante Reine ou encore aux animaux qui, bien qu'ils ne parlent pas directement, parviennent à s'exprimer auprès de Blanche-Neige et surtout à comprendre ce qu'elle veut, ce qui leur donne un caractère humain plus qu'animal. La question à se poser alors est d'où vient cette caractéristique, typique aux contes de fées, d'humaniser les animaux et autres objets.
Bruno Bettelheim apporte une réponse intéressante à cette interrogation. Selon lui, les enfants ont tendance à être des animistes, et ce jusqu'à leur adolescence. Pour rappel, l'animisme est une conception générale qui attribue aux êtres de l'univers, aux choses, une âme analogue à l'âme humaine. C'est également, et c'est ce point-là qui nous intéresse le plus, une tendance qu'ont les enfants à considérer les choses comme animées et à leur prêter des intentions. De par ce fait, l'enfant aura tendance à considérer les animaux et objets comme des êtres vivants à part entière et à les traiter tels quels. Il aura ainsi par exemple tendance à gronder une porte car celle-ci lui a fait mal lorsqu'il s'est cogné le doigt de pied dessus. Pour lui, le soleil et la pierre sont vivants car le premier donne la lumière et la seconde est capable de mouvement si elle roule sur une pente.
Or, pour en revenir aux contes, l'un des publics à qui ils s'adressent sont justement les enfants. Il n'est donc pas étonnant de retrouver cet animisme dans ces histoires merveilleuses à travers la présence d'animaux et d'objets doués d'une conscience humaine. Disney, dont le but est de directement s'adresser aux enfants, reprend donc ce principe de narration et l'on serait presque tenté de dire qu'il met encore plus l'emphase dessus, la présence d'animaux ou d'objets magiques étant systématique dans chacune de ces productions de contes de fées.
Il est d 'ailleurs impressionnant de voir comment Walt a parfaitement saisi le concept de l'animisme lorsqu'on lit l'explication qu'en donne Bruno Bettelheim : « Il n'existe pas, pour l'enfant, de ligne de démarcation bien nette entre ce qui est inanimé et ce qui vit ; et ce qui vit possède une vie très proche de la nôtre. Si nous ne comprenons pas ce que les rochers, les arbres et les animaux ont à nous dire, c'est que nous ne sommes pas suffisamment en harmonie avec eux. Pour l'enfant, qui cherche à comprendre le monde, il parait raisonnable d'espérer une réponse de la part de ces objets qui éveillent sa curiosité. Et comme l'enfant est égocentrique, il compte sur l'animal pour lui parler des choses qui, pour lui, ont une signification, comme le font les animaux dans les contes de fées et comme l'enfant lui-même parle à ses animaux vivants ou en peluche. L'enfant est persuadé que l'animal comprend et réagit effectivement, même s'il ne le manifeste pas ouvertement. Etant donné que les animaux vagabondent librement dans le vaste monde, n'est-il pas naturel que, dans les contes de fées, ils soient capables de guider le héros au cours de sa quête qui l'entraîne vers des endroits très éloignés ? »
À la lecture de ces lignes, on pense immédiatement de nouveau à Blanche-Neige lorsque, perdue dans la forêt, des animaux lui viennent en aide et la conduisent en sécurité jusqu'à la petite maison des nains.
Bref, Blanche-Neige est une adaptation fort passionnante de l'oeuvre des frères Grimm, empruntant beaucoup aux codes des contes de fées, chose qui se perdra de plus en plus au fil des autres productions Disney.
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Créée
le 13 nov. 2020
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