Le film m'intriguait depuis un moment. Cette affiche, forcément... Et le titre, qu'on ne peut difficilement ignorer. Ma curiosité a été servie et de fort belle manière (et pas que parce qu'on voit du postérieur, je vous vois venir là) : Blind est un des films les plus fascinants et étranges de l'année 2015, parfois aussi radical que facile d'accès, jouant avec délices sur plusieurs tableaux et ce, grâce à la grammaire cinématographique dont Eksil Vogt, excellent scénariste et d'ailleurs ancien élève de la Femis (dans l'interview en bonus du DVD KMBO, on s'aperçoit même que le norvégien parle assez bien français), utilise avec une facilité déconcertante quand il s'agit de passer à la réalisation de ce qui est son premier long-métrage.


Au delà du film explorant basiquement la cécité, Vogt nous délivre directement une étude complexe du désir féminin, entre passages purement mentaux (la scène où deux personnages discutent à une table puis sans trop de transitions, poursuivent leur discussion dans le bus sans qu'on ne les ai vus une seule fois monter dedans est bluffante et inattendue) et dure réalité sans qu'on ne s'apesantisse de trop sur la situation d'Ingrid (jouée magistralement par Ellen Dorrit Petersen). A peine une situation soulignant ses difficultés liées à son nouveau statut (un bol de raviolis tombé par inavertence sur le sol et nettoyé du mieux qu'il soit possible) mais jamais un quelconque jugement sur le personnage, ce qui est déjà une belle gageure.


Au contraire, depuis qu'elle a perdu la vue depuis peu, Ingrid a aiguisé ses autres sens mais s'est aussi aiguisée elle-même, entre repli lié aux souvenirs du monde extérieur et faculté d'utiliser tout ça pour vivre sa nouvelle vie, quitte à nous perdre aux limites de la folie (Ingrid ne veut même plus sortir, préférant écrire un roman via l'ordinateur --et un logiciel qui doit réciter le texte écrit en direct on le comprend-- que prendre le moindre risque). Elle s'interroge du coup face à ce mari avec qui elle communique moins. Est-ce qu'il veut encore d'elle ? Est-ce qu'il ne la considère pas dorénavant comme un obstacle ? Entre ce qu'Ingrid s'imagine et la réalité, aucun moyen de faire le point dans un premier temps puisque nous sommes immergés directement avec elle, frontières brouillées entre le ressenti, l'imaginé et la réalité.


A des plans où Ingrid croit ressentir la présence de son mari, la mise en scène de Vogt ne nous certifie jamais rien. Gros plan sur le visage de la femme mais en fond, tout est flou, pas de mise au point. Alors Ingrid se lève, va vers les disques vinyles, effleure de son doigt les objets, reconfigure mentalement la pièce. Son mari est-il bien là ? Ce siège n'était-il pas vide l'espace d'un instant ? Comment a t-il alors pu arriver sans faire le moindre bruit sur un plancher de bois pourtant sujet à de multiples craquements ? Le montage nous égare volontairement et délicieusement.


Tout le film part dans de multiples chausse-trappes, multiplie les personnages (pour justement mieux nous perdre) et couches que le spectateur ne comprend de fait qu'à la moitié ou au deux tiers du film. C'est absolument brillant, et régulièrement à mi-chemin du fantastique. C'est aussi très crû (le film est interdit aux moins de 12 ans, pas pour rien) mais jamais gratuit ou glauque. Difficile donc de trop en dévoiler si ce n'est qu'on est en présence d'un des films les plus fascinants de l'année et que je ne peux que le conseiller à tous les curieux cinéphiles.

Nio_Lynes
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le 10 janv. 2016

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Nio_Lynes

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