Science-fiction ou fable, la différence est tenue, sauf que la fable a un message. En l'occurrence il s'agit ici d'observer ce que devient la société quand les règles de vie en commun ne peuvent plus être respectées. Et la démonstration est d'un réalisme surprenant, elle fait peur, même, avec l'émergence des petits caïds, des petits arrangements. La scène où l'on échange de la nourriture contre des passes est éloquente, d'abord par le volontarisme des femmes, même s'il est complexe, ensuite par ce qui se passe ensuite, tous les hommes ne sont pas des brutes (nous entendons les dialogues d'un rapport non violent). Si Julianne Moore se révolte le lendemain ce n'est pas par honte ou par regret mais parce que le chef du dortoir n'a pas su respecter ni faire respecter les femmes. La dernière partie montre le retour à la sauvagerie dans la ville sans aucune concession. Et là quelle mise en scène extraordinaire ! Là où "28 jours plus tard" se couvrait de ridicule avec ses rues vides et ses rayons de supermarché pleins, Blindness fait dans l'hyperréalisme (le repas des chiens). Quant à la conclusion, ce n'est pas un happy end, parce que celle qui passait pour une héroïne avait en fait goûté au pouvoir (au royaume des aveugles…) et sait qu'elle ne le conserva pas. Chef d'œuvre.