Une fille filme sa mère et on sent une quête éperdue. Une quête d'identité, parce que la fille cherche évidemment se définir en analysant la personnalité de sa mère mais aussi sa relation à sa mère. Raconté comme ça, ça pourrait sembler prise de tête. Comme les relations mère/fille le sont parfois. Comme la quête de son identité véritable l'est bien souvent. Mais voilà, la mère, ici, c'est Martha Argerich, et elle n'a rien de banal, cette femme-là. Vous me direz, à la loupe, personne n'est vraiment banal, mais les génies du piano sont plutôt rares. Du coup, ausculter Martha Argerich, c'est interroger le mystère de la musique. Quel chemin emprunte-t-elle pour émerger d'un être humain ? Pourquoi si peu d'entre nous sont capables de la laisser chanter à travers eux ? Quel lien intemporel un virtuose peut-il établir avec ses illustres prédécesseurs ? Approcher ce mystère, c'est déjà palpitant en soi. Le confronter ensuite à la maternité et au couple, c'est encore bien plus accrocheur. Comment un musicien peut-il concilier la vie sur ces deux niveaux ? Parce que la vie de famille a bien souvent quelque chose de profondément trivial auquel la musique échappe complètement, par sa transcendance. Sauf qu'à la fin de ce film, on touche du doigt les liens profonds qui unissent les membres de cette grande famille cosmopolite où l'on parle au quotidien au moins 3 langues et que, d'une certaine façon, ces courants sous-marins ressemblent beaucoup à ce qui relie un interprète à ses compositeurs fétiches. Les 3 filles de Marta Argerich sont presque comme des interprètes de ce que leur a transmis leur mère fantasque et surdouée. En dehors des mots. Et il fallait le regard scrutateur de Stéphanie, sa fille réalisatrice, pour, sur la durée, mettre au jour cet autre mystère. A ce sujet, la scène de pédicure des 4 femmes sur une couverture au milieu d'un verger est un vrai concert de voix féminines, en présence de la génération suivante, encore toute jeune mais déjà dans la ronde. Il y a entre elles une qualité d'écoute et de partage qui convainc d'une sorte de transcendance tranquille, immanente, entre les générations, du passage de témoins d'une personne à l'autre, de l'existence d'un sens subtil qu'il convient effectivement d'interroger. Tout ça en suivant les pérégrinations d'une pianiste à travers le monde, en la regardant dormir, boire son café, réfléchir à sa vie et à sa pérennité... Une bonne surprise, donc, parce que le documentaire surfe élégamment entre le léger et le profond.