Longtemps lorgné, jamais regardé. Longtemps imaginé, toujours reporté. Pourtant, après deux beaux coups de cœur avec Carrie au bal du diable (1976) et Phantom of the Paradise (1974), ma sensibilité envers le cinéma de Brian De Palma semblait bien avérée. Mais je n’aime pas me précipiter, et c’est probablement pour cela que j’ai attendu le moment opportun pour, enfin, visionner Blow Out.
Il ne paraît pas incongru de citer le Blow Up de Michelangelo Antonioni lorsque l’on parle du film de Brian De Palma. Si le premier était très hermétique et pris dans un élan de contre-culture, le ton de Blow Out est relativement différent. Plus rythmé, c’est un thriller à l’américaine, mais surtout l’un des grands coups d’éclat de Brian De Palma. Ce dernier, qui n’en était pas à son coup d’essai, deux ans avant de réaliser son mythique Scarface, va livrer ici une copie quasi-parfaite, mêlant parfaitement le cinéma grand public à une mise en abyme et à une ambiance et une esthétique saisissantes.
Blow Out réussit le pari d’être un film dans le film. Le héros, preneur de son pour des navets cinématographiques, va, par hasard, lors d’une sortie visant à enregistrer de nouveaux sons, capturer un accident de voiture qui a en réalité un fond de meurtre. Dès le début, Brian De Palma capte l’attention du spectateur en l’immergeant dans une séquence rappelant de loin le Suspiria (1977) de Dario Argento, avant une séquence en split-screen, puis celle de l’accident, magnifiquement mise en scène, et concentrant toute l’attention du spectateur sur les sons ambiants. Le début du film sera à l’image du reste : saisissant, angoissant mais surtout captivant.
La résolution de l’enquête, amorcée avec le son enregistré par Jack (John Travolta), et poursuivie avec une série de clichés prise par un photographe à scandales, se présente comme le montage d’un film dans le film, comme une mise en abyme du cinéma dans un contexte qui lui est étranger. Les pistes s’éclaircissent à travers les images et, à travers un montage d’images et de sons, donne naissance à une intrigue macabre au dénouement dramatique, symbolique et saisissant. Il s’agit ici non pas de faire comme Michelangelo Antonioni dans Blow-Up et d’intégrer la place de l’image dans une sorte de mutisme et de mystère quasi-irrationnels, mais, au contraire, d’utiliser le montage comme un outil permettant de dialoguer avec l’extérieur. Comme j’en parlais dans ma chronique sur la théorisation du montage dans les années 20 dans le cinéma russe (j'en parle ici si ça peut intéresser), ici les images et les sons, seuls, n’ont pas de vrai sens, mais leur association et leur contexte vont justement leur donner du sens et donner naissance à l’histoire du fameux meurtre entendu par le héros.
Avec Blow Out, Brian de Palma confirme sa stature de réalisateur de qualité avec ce film soigneusement construit, mêlant tout ce qui fait l’essence du cinéma de de Palma, c’est-à-dire du choc, du voyeurisme, du suspense et de la pression. Dans cette brillante mise en abyme, le cinéma se montre et se construit, les clés ouvrent les portes et le film se résout dans le film. Tout s’accorde à la perfection dans ce thriller captivant et détonant qui donne une vraie claque, et sur lequel l’âge n’a pas la moindre emprise.