-Revisionnage du Thriller d'Antonioni, car j'insiste, c'est un Thriller, et pas un film d'auteur. (Ce qui est quand même drôle et plutôt blessant pour les apôtres du cinéma "sérieux"). Bon, alors, je dois dire que en le voyant j'ai eu l'impression de le découvrir pour la première fois, d'abord parce que je l'avais mal goûté la première fois, je m'en rends compte désormais, très mal goûté, mais aussi parce que c'est une impression que tous les bons films font, à fortiori donc les films parfaits ou quasiment. Je trouve le film digne d'admiration, je veux dire, c'est le bon goût même. Deux ou trois choses que je sais d'elle? Allez, c'est parti, deux ou trois choses que je sais d'elle :
-Ce qui frappe quand on voit ce film, c'est à quel point les autres cinéastes soit disant modernes ont peur du vide et du plan large. Antonioni en abusait, il avait bien raison, que l'on songe un peu deux secondes au nombre affolant de films d'auteur "libres" où il y'a, pourtant, moins de plans larges que dans un film d'hollywood ! Plus je vois de films, plus ça me frappe : Un cinéaste qui hésite à reculer sa caméra est mauvais, un cinéaste qui essaie de serrer de façon quasi-systématique au plus-près le personnage est quasi-automatiquement mauvais. C'est une terrible faute de goût, que même les vieux cinéastes de western ne faisaient pas. C'est ce qui s'appelle : Laisser les images juger. Cela dit, c'est une question de morale, écarter ou rapprocher sa caméra est une question de morale pure, qui engage donc la sensibilité personnelle de chacun.
-Il y'a, au-delà de l'aspect artistique, un sous-texte philosophique évident : Le personnage principal (artiste) prend d'abord des photos vierges, selon le seul critère d'une "prétendue beauté objective", puis tout à coup il s'aperçoit qu'il a pris une photo où on voit un meurtre : Hop, la métaphysique et le pêché apparaissent, l'innocence morale de l'artiste disparait, et c'est la fin de cette innocence et le surgissement de la mort qui produit l'artiste, qui signe la valeur de l'artiste. Quand le personnage principal montre la photo qu'il a prise du meurtre à une fille, celle-ci rétorque : "Ah, on dirait de la peinture abstraite". La photo/le cinéma devenant art par le truchement de la répresentation de la mort. De fait, aucun plan n'est innocent, aucune scène n'est innocente, tout est toujours consciemment ou inconsciemment calculé, qu'un cinéaste (n'importe lequel) le veuille ou non. Tout ce qui est montré dès la scène 1 est pieds et poings liés à ce qui est montré dans la scène 26 ect, jusque dans la scène finale. Quand on prend le film ainsi, comme une globalité organique dont on étudie les rapports esthétiques entre chaque plan pris de façon séparée, on s'aperçoit gentiment que le calcul d'Antonioni est juste, et il est juste à la virgule à la décimale près ! Beaucoup plus juste qu'on ne le pense, je pense. Par extension, qu'est-ce-qu'un bon film ? Un film qui soigne ses rapports d'images jusqu'à arriver au point où le total atteint et dépasse un ensemble positif.
-La métaphore de la dernière scène : Le personnage principal ramasse la balle de tennis fictive et la lance aux mimes : Maintenant qu'il a vu la mort, il est devenu capable de toucher l'imaginaire, il est devenu sensible à la non-réalité du monde, il est devenu un vrai artiste. Voilà le cinéma, de l'abstraction très concrète. Contradictions contradictions, évidemment...
-De plus, ce n'est pas juste une idée en l'air, il y'a, dans chaque bon film, un meurtre, qu'il soit caché (métaphorisé par la radicalité de la mise en scène chez les Straub par exemple ou par le meurtre de la notion même de personnage ET de narration chez Godard) ou bien apparent (les westerns, les bons films d'action), et, quand il n'y'a pas meurtre, ou quand le meurtre est émoussé/éclipsé par d'autres éléments de mise-en-scène, alors il n'y'a pas film, il n'y'a pas cinéma, il n'y'a pas art, il y'a juste bourgeoisie, qui est la perpétuation, et qui est le contraire de la mort justement.
-Un des plus beaux films de la décennie 60, et un des plus beaux aussi de l'histoire du
cinéma. Eh merde, voilà que j'ai envie de revoir encore tous les Antonioni du coup... Tant mieux !