Blue est un documentaire animalier qui suit l'apprentissage et l'autonomie d'un jeune dauphin dans les eaux polynésiennes.
Les techniciens de l'image ont su se faire oublier des fonds marins qu'ils ont filmés ; en résulte des plans choisis et montés (et c'est, selon moi, l'écueil principal du documentaire) pour faire de l'océan le théâtre d'un conte, non pas pour rendre compte de ce qu'ils y ont vu : l'espace naturel est fictionnalisé à outrance ; le rendu est artificiel, le propos militant désamorcé.
Le film jongle avec trois pôles narratifs à trois échelles différentes.
Ce jeu d'échelles est intéressant mais aurait mérité d'être creusé :
- L'échelle humaine est représentée par l'apprentissage du dauphin, qui permet aux réalisateurs de faire de larges parallèles sous-jacents avec l'action humaine (j'y reviendrai) ;
- L'échelle macro suit les premiers jours d'un baleineau protégé par sa mère dans une séquence d'action (l'attaque d'une bande d'orques affamés) dont le storytelling n'a rien à envier à The Last Jedi ;
- L'échelle micro, avec laquelle viennent les pérégrinations d'une fragile crevette mante, une "squille", dont le faciès amusant ponctue le film de passages comiques dans lesquels l'animal semble regarder, curieux, les jeux des animaux gigantesques et la vie corallienne qui se joue au dessus d'elle. Malheureusement, ces instants sont altérés par un sound design épuisant et surboosté que l'on ne saurait pas même apprécier dans Wall-E.
Les plans et le montage sont de bonne facture, mais se ils contentent de raconter une histoire dont les ficelles sont larges, tendues et acérées comme des bancs de requins.
Le film appuie sur l'équilibre précaire de la chaîne et des biotopes, évoque longuement la destruction des bancs de coraux sans jamais insister sur la responsabilité humaine de ces bouleversements ; restent deux idées flottantes, celle d'une nature "défavorisée" et malade, qui n'aurait juste pas eu de bol et, en contrepoint, celle d'un responsable absent. Les documentaristes favorisent un point de vue restreint dans lequel l'on pourrait voir une forme d'anthropomorphisme : au lieu de choisir une narration chorale, qui aurait adopté le point de vue de plusieurs animaux pour mieux pouvoir épouser la nature complexe de la chaîne alimentaire, les réalisateurs se sont simplement contentés du harponnage émotionnel des spectateurs avec des points de pathos de type "relation mère-enfant".
Blue aurait pu être un fascinant documentaire, mais la richesse des comportements solidaires inter-espèces, la beauté architecturale des fonds coralliens, l'équilibre si précaire du biotope ou encore la capacité des dauphins à maîtriser de somptueux drifts s'inscrivent avec DisneyNature dans un divertissement hyper édulcoré, sans doute dans une volonté infertile d'intéresser les plus jeunes publics, qui finit par manquer, paradoxalement, de profondeur.
La pilule du militantisme passe en demi-teinte ; elle laisse en sortie de séance le goût amer de l'hypocrisie des producteurs.