Blue Spring est une œuvre qui fait parler les ombres où l’existence adolescente semble vouée à une autodestruction qui ne tient qu’à un cheveu. Blue Spring est la chronique d’une bonne de paumés lycéens tous habillés d’un uniforme noir et aux résultats scolaires plus qu’approximatifs. Pour passer le temps alors qu’ils ne font que sécher les cours sous le regard dubitatif et incrédule de leurs professeurs, ils errent dans leur lycée pour s’intimider ou s’affronter en duel pour savoir qui est le patron du bahut et pouvoir hiérarchiser chaque individu dans ce microcosme écolier. Kujo, l’un d'eux, prend en photo toute cette petite bande qui n’en sera bientôt plus une et qui sera victime de son désenchantement fratricide. Les lieux sont le miroir de la solitude qui les accompagne: vide et plus on monte les étages de cet immeuble, plus les couloirs sont laissés à l’abandon, vétustes où les murs sont tagués de toute part sans qu’aucun adulte en prenne réellement conscience.
En quoi consiste ce fameux combat : celui qui arrive à taper le plus grand nombre de fois dans ses mains en se rattrapant à la rambarde du toit de l’immeuble pendant que le vide git sous leurs pieds. C’est un jeu pour eux alors que leur vie en dépend. Ils défient leur courage face à la mort, peut-être pour sentir ce souffle vital qu’ils ne ressentent pas quotidiennement ou juste par distraction distante et inconsciente face à la vitalité de leur existence. Dans les premières minutes du film, c’est Kujo qui remporte la confrontation et devient le chef de la troupe. Il dégage une folie cynique dans son apparence et ses actions (le dessin sur le bureau, le coup de batte de baseball écrasant les testicules d’un jeune frondeur), il reste à l’écart de toute cette agitation ce qui va l’éloigner de Aoki, son ami d’enfance obnubilé par la suprématie des gangs qui en a marre de rester dans l’ombre.
Les amis vont devenir ennemis. Aoki basculera alors dans une violence sanglante teintée de noir magnifiée par la force charismatique de sa direction d’acteur qu’incarne parfaitement Blue Spring. Toshiaki Toyoda minimalise son récit et n’abuse pas de trauma ankylosant ou de réflexion malaisante, mais délimite son film à ce lycée dont le portail semble infranchissable à jamais pour mieux densifier son écriture narrative et ce sentiment d’enfermement face à un bonheur prochain impossible. C’est avec une mise en scène froide et évocatrice mais jamais académique ni impersonnelle que le réalisateur filme cette histoire existentielle s’appuyant sur une bande son rock poétique et rageuse donnant quelques séquences « clippesques » à la classe indéboulonnable. Influencée musicalement, l’œuvre de Toshiaki Toyoda pourrait être le pendant cinématographique d’Envy, l’un des plus grands groupes japonais de la scène mondiale screamo des années 2000 : lent voire contemplatif, Blue Spring désarçonne par ses quelques fulgurances sanglantes nihilistes.
Les seuls échanges entre adultes et adolescents sont les moments de classe où les professeurs tournent le dos aux élèves comme pour ne pas dévisager leur échec professoral ou soit pour s’entendre dire dans le bureau du directeur qu’ils vont redoubler, que l’avenir part en fumée et qu’ils vont déshonorer leur famille. Ils ont juste besoin de conseil, d’une épaule à qui se confier pour trouver leur place. L’un d’eux a perdu sa jeunesse à tout donner pour le sport qu’est le baseball croyant dur comme fer qu’il rejoindra l’équipe nationale. Mais il joue dans une équipe pourrie sans but précis. Qui est là pour l’aider ? Personne ou presque. Le réalisateur ne blâme personne sur la situation d’une partie de cette jeunesse japonaise en laissant un gout amer dans ce monde lycéen où il n’y ni bons ni méchants, juste un constat désabusé d’un choc de générations abrupts aux codes sociaux exigeants qui ont raison de l’innocence d’une jeunesse qui regarde son passé avec une nostalgie cinglante et envisage un futur se traçant avec des pointillés ou par des voies obscures.