La fascination du mal, et l’écœurement du manichéisme.

Blue Velvet est un film intellectuellement brillant, à l'ambition sans doute un peu démesurée, qui ne parvient pas à surpasser par son étrangeté et sa violence d'autres films du même réalisateur, notamment le fabuleux Mulholland Drive. Cette peinture atroce et avide d'un monde profondément hypocrite, sale et faussement lumineux, cette critique féroce d'un manichéisme artificiel et cette mise au jour de la noirceur complexe de l'être humain, d'autant plus effrayante qu'elle s'inscrit dans une forme de monde dual : si beau et chantant le jour, si noir et sinistre la nuit, sont frappés de la classique et tellement particulière esthétique de David Lynch. Le film offre ainsi cette drôle d'aventure initiatique de Jeffrey, un jeune homme au physique angélique et suave, qui découvre sur un chemin vert et printanier une oreille sectionnée. Après avoir prévenu la police, il s'embarque avec une ancienne amie à lui, Sally, dans la résolution de ce mystère. Le jeune homme va vite diriger son étrange obsession sur une chanteuse de cabaret, victime d'un chantage et de multiples violences d'une bande de psychopathes cruels et monstrueux. Jeffrey va peu à peu connaître une sorte de crise d'identité, découvrant peu à peu le mal en lui, pris dans un délire mimétique, et en même temps ramené au bien par son amie et par l'enquête. Quelque chose de profondément dérangeant se dégage de ce jeu sexuel récurrent, confinant parfois au viol, teinté de masochisme et de scènes d'une rare violence symbolique et réelle entre les personnages. Les grandes scènes de violence alternent avec des moments plus conventionnels un brin agaçant, ressemblant à des parties de thé. La musique de Blue Velvet revient régulièrement, chantée parfois d'une manière lumineuse, puis plus sombre, toujours dans ce dualisme manichéen, à l'image des deux frères employés jumeaux, aveugles et non aveugles.


Cette grande richesse du scénario, de la symbolique et du mystère propre à ce brave Lynch sont pourtant gâchés à de nombreux égards. Il paraîtrait que le film devait durer à la base 4h30, et que la vue de ces scènes coupées aurait alors pu permettre de donner une dimension supplémentaire aux personnages et également au scénario. Ici se trouve donc à mon sens le nœud du problème : le film ne va pas au bout de son incroyable objectif, qui touche à des réflexions philosophiques et humaines très complexes. Le jeu des acteurs laisse également à désirer, à part peut-être celui de Sally et de Franck qui réussissent à insuffler une certaine densité à leurs personnages. Parfois, quelques monceaux de l'intrigue débarquent ex nihilo, ou alors fort peu à propos, notamment celle de la discorde entre Jeffrey et l'ex petit ami de Sally. S'il est évident que David Lynch a voulu donner à chaque personnage une forme de symbolique morale particulière, à Jeffrey le doute, à Sally le bien et le pardon, à Franck le mal, à la chanteuse le masochisme malsain, ceci devient parfois extrêmement appuyé, à la limite du caricatural. Blue Velvet commence et s'achève sur les mêmes plans, et malgré tous les défauts du film, le même malaise hypnotise le spectateur : celui de l'immonde nature de l'homme, et elle celle de sa société.

PaulStaes
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le 6 juin 2018

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Paul Staes

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