Revoir Blue Velvet à 40 balais, environ 20 ans après, désormais sans stupéfiants, relevait du défi. Impossible bien sûr de retrouver les effets de la première fois ; toutefois le plaisir était toujours là.


Lynch, maître absolu du bizarre, excelle à mettre en scène des tableaux qui interpellent, étonnent, fascinent, médusent, hantent l’esprit, le tout souvent bercé par une bande-son oubliée qui semble resurgir de la profondeur du temps pour refleurir sous un nouveau corps. La danse sur le toit de la bagnole, la maison close et ses femmes à la grâce façon Botero, le corps nu et fantomatique d’Isabella Rossellini dans le jardin, le regard complètement dingue de Hopper, la perversion sexuelle des personnages en général, le corps du flic debout quoique mort, etc etc etc. Chaque scène, ou presque, relève d’un haut sens de la composition artistique, à travers la disposition des corps, le choix des couleurs et des matières, le son et les bruits, le mouvement des personnages et autres. En effet Lynch crée pleinement une esthétique, dans le sens étymologique du terme, c’est-à-dire « qui a la faculté de sentir ; sensible, perceptible », invitant le spectateur dans une expérience davantage sensorielle qu’intelligible.


La capacité hors du commun à créer des atmosphères, à faire planer quelque chose d’indicible, à la fois rassurant et inquiétant, autour du concept freudien d’unheimliche, c’est-à-dire « inquiétante étrangeté » (ou « familier étrange, le non familier intime ») relève aussi de cette expérience sensorielle. Dès le début, l’intime (la maison familiale, le jardin, le chemin quotidien du retour, la banlieue résidentielle à l’américaine) qui devrait inspirer confiance et tranquillité se trouble, revêt un autre aspect mental, s’altère et devient étranger voire effrayant, fondamentalement bizarre, permettant que s’insinuent tension et angoisse.


Si Lynch joue avec les codes de différents genres filmiques, comme le film d’horreur avec ses adolescents niais (Kyle MacLachlan, le jeune Jeffrey qui pénètre dans la maison où personne n’aurait mis les pieds) incarnés par des acteurs surjouant (Laura Dern et son sourire qui se défigure en masque de terreur), il les met vite à distance et élabore une intrigue type thriller/film, se réappropriant ainsi de son style particulier et inimitable.


Un film fondateur d’un des meilleurs metteurs en scène contemporains.

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le 1 avr. 2022

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