Malgré mon amour naissant pour le cinéma japonais, à part Kurosawa, je ne connais que peu la filmographie des plus grands réalisateurs nippons. Et Ozu en fait partie. Certes j’ai vu Voyage à Tokyo, qui est considéré par beaucoup comme son plus grand film. Mais je ne peux guère encore donner un avis général sur notre bon Yajusirô.

En allant voir Bonjour avec plusieurs camarades de Sens Critique, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, n’ayant qu’à peine regardé le synopsis et lu aucune critique. Dans une sorte de petit quartier résidentiel, un membre de cette petite communauté possède chez lui une télévision, celle-ci attire chaque jour plusieurs enfants du quartier. Certains parents, mécontents de cela, interdisent à leurs enfants d’y retourner. Faisant fi de la volonté de ses enfants d’acquérir un téléviseur, un père somme ses fils de se taire devant leur contestation. Ceux-ci vont alors le prendre au mot pour montrer leur mécontentement et entament une grève de la parole.. Un évènement qui va alors faire pas mal de ricochets.

J’ai rapidement été surpris du ton du film, m’attendant plus ou moins à me retrouver à nouveau devant un drame classique, comme cela était le cas avec Voyage à Tokyo, alors que Bonjour tourne très clairement vers la comédie. En effet, Ozu à cette occasion veut très clairement provoquer le rire chez le spectateur. Alors certes, le film est régulièrement parsemé de passages amusants, cocasses (je pense ici aux premiers jeux de pétomanie, le jeu très drôle du petit frère, les échanges entre une mère et sa fille etc etc), mais j’ai vraiment trouvé qu’Ozu en faisait trop, était parfois dans l’exagération. Exemple frappant, flagrant, ce fameux jeu du pet, qui peut faire sourire les deux premières fois, mais au bout de la trentième cela irrite, lasse, plus qu’autre chose. Ou encore cette séquence où un homme lâche un gaz et sa femme rapplique, croyant être appelée par son mari. Ainsi trop de répétition, de redite, tue un peu dans l’œuf l’humour qu’a voulu transmettre Ozu. Ce qui est pour moi le principal défaut du film.

Bien entendu, le côté comédie du film n’enlève pas un certain fond au film, nous sommes encore en présence d'une chronique sociale. Et Ozu aborde une multitude de sujets assez sérieux sous couvert d’amusement.
Pendant le film, j’ai d'abord été frappé de la froideur des relations entre parents et enfants dans cette société japonaise. Comme si les liens entre les générations étaient désincarnées, et où l'obéissance et le respect total sont dûs aux parents. Chacun son rôle, chacun à sa place. Deux mondes opposés et où l'incompréhension mutuelle règne entre ces différentes générations.
Par contre, je ne vais pas m'avancer en disant que c'est un tableau fidèle, étant un parfait profane en histoire sociale et culturelle japonaise ....
Comme souvent chez Ozu, paraît il, celui-ci aborde des thèmes universels, et ici c'est notamment le cas avec la mise en lumière de ce qu'amène le « progrès » et ses multiples bouleversements. Ceci commun à toute société, et illustré ici par l'apparition de la télévision, vu par les « anciens » comme quelque chose de mauvais, d'avilissant, d'abrutissant, un objet aux effets pervers. Et de l'autre côté vu par les jeunes comme une nouvelle forme de distraction, d'occupation. Télévision qui serait d'ailleurs une forme de nuisance pour l'éducation, un frein à l'assiduité du travail des enfants.
Mais quand on voit ces parents donneurs de leçons et d'ordres ne prenant même pas la peine de s'occuper des devoirs de leurs enfants, de les accompagner dans cette tâche importante, on sourit. Car oui, l'école ne fait pas tout, et les parents ont aussi leur rôle à jouer. Problématique qui d'ailleurs se retrouve aussi par chez nous ...
De même le manque de convictions des parents remet clairement en question leur opposition à la télévision. En cédant, en quelque sorte en tournant casaque, on se dit qu'en fait leur opposition tenait plus de la posture que d'une véritable et solide opinion. Tout compte fait, à l'arrivée, c'est la société de consommation qui sort vainqueur.
Bonjour c'est aussi un film où les adultes se conduisent comme des enfants, voire d'une manière encore plus enfantine et puérile (car oui, bouder jusqu'à avoir son objet de désir ce n'est pas vraiment une attitude exemplaire). Toutes ces histoires de commérages entre voisines, bien mis en scène, font sourire, encore plus quand on sait très bien que le film exagère parfois à peine ... Ainsi les faux-culs sont présents et l'hypocrisie règne. Micro-société où il faut entrer dans le moule, ainsi on croirait que le fait d'être différent suffit d'emblée à se voir désigné par tous comme un pestiférée, un déviant et en tout cas une personne peu recommandable.
Enfin, Bonjour est aussi une ode aux choses simples, aux petites phrases qui peuvent paraitre anecdotiques, anodines, qui rythment notre quotidien mais qui n'en restent pas moins importantes.


Même en ayant vu Voyage à Tokyo, j’ai été frappé par la réalisation d’Ozu, qui parait être reconnaissable entre mille tant sa patte est atypique. Je parle évidemment de sa réalisation très épurée, très colorée, basée sur ses fameux plans fixes et sa science du cadrage. D'ailleurs je ne me souviens pas avoir vu beaucoup d'autres films filmés intégralement (?) sans aucun plan en mouvement. Donc bien entendu, pas de travelling, de plans séquences ou autres procédés du genre dans Bonjour. Certains pourront peut être trouvé la réalisation austère, mais personnellement j'ai adhéré au concept. J'ai d'ailleurs pas mal apprécié la répétition de certains plans, comme celui de l'allée des habitations avec la colline en arrière plan qui revient 4 ou 5 fois pendant le film.
Du reste, dans un autre genre, la réalisation m’a un peu fait penser à du Wes Anderson, comme si ce dernier avait pu être influencé par un de ses illustres prédécesseurs derrière la caméra.
Le tout étant accompagné d'un accompagnement sonore très plaisant, et en parfaite adéquation avec ce qui est proposé à nos yeux. Musique qui paraît il, selon les commentaires des commères installées devant moi pendant la séance, ressemble à s'y méprendre à celle d'un film de Jacques Tati et renforce le côté loufoque du film.



Pour conclure, je dirais que Bonjour est une comédie burlesque-satirique plaisante, bien que parfois un peu bancale et au final moins marquante qu'un film comme Voyage à Tokyo.
Un bon Ozu, mais surtout, un bon film.




PS : En regardant Bonjour, je me dit que certains RPG ne sont pas si irréalistes que ça, quand on voit qu'on entre dans ces maisons japonaises comme dans un moulin !

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