La Scandinavie, on le sait, est une terre de légendes. Rien d'étonnant dès lors à ce que le film d'Ali Abbasi puisse s'envisager comme un conte moderne. "Il était une fois une femme d'une immense bonté mais que la nature avait doté d'une épouvantable laideur..." Ainsi reformulée commence l'histoire de Tina, une employée à la douane particulièrement efficace pour son aptitude quasi animale à repérer les fraudeurs et criminels de tous poils. On la voit ainsi officier avec une rigueur très suédoise et rentrer chaque soir dans sa maison forestière où aucun Prince charmant ne l'y attend. Jusqu'au jour où la pas-belle rencontre un homme qui s'avère tout aussi laid et tout aussi animal qu'elle...
Avant d'être une réflexion sur le thème de la monstruosité, Border est d'abord une ode superbe à la nature. Car Tina n'apprécie rien tant, une fois de retour chez elle, que d'aller vagabonder pieds nus et narines ouvertes à travers la forêt. La légèreté qui est la sienne dans ces virées sylvestres, la transfiguration qui s'opère en elle au contact de ses orteils sur la mousse verte des sous-bois font qu'elle n'est plus alors la femme monstrueuse pointée du regard par les gens mais une sorte de fée bienveillante que toute une faune accueille comme une des leurs. Et cette harmonie fait du bien. On éprouve soi-même, en tant que spectateur, les vertus de ce contact direct à la nature : la fraicheur d'un bain dans une rivière, la beauté d'un animal sauvage -fantastique apparition nocturne d'un Elan - mais surtout à quel point notre civilisation dite moderne nous a amené à rompre ce lien. Tina est celle qui franchit encore la frontière (Border) et renoue avec la nature primitive au lieu de se perdre dans les mondes virtuels de la télévision ou des réseaux.
Pour autant, ni Tina, ni son "trôle" de compagnon n'incarnent un retour béât à une nature rousseauiste. Il ne s'agit pas de découvrir les cœurs purs que cacherait leur apparence monstrueuse, façon Belle et la Bête. Au contraire, ils ne renoncent jamais à leur caractère monstrueux. Ils l'assument même pleinement, voire le revendique pour ce qui est de Vore. Gueulant, grognant et baisant comme des bêtes, ils donnent de leur jouissance animale un spectacle tout à fait inédit. Et les deux comédiens de livrer une performance d'une rare authenticité.
Mais il y a monstres et monstres. Border, loin de n'être qu'un film fantastique supplémentaire, interroge sur la part cachée de notre propre monstruosité. Celle de la perversité la plus absolue dont les hommes peuvent se rendre coupables. Avec en ligne de mire les prédateurs sexuels qui sévissent dans les villes - ici diamétralement opposées à la forêt- mais surtout, par l'évocation entre les lignes, du sort que le gouvernement suédois réserva aux populations sâmes dans la première partie du siècle. En procédant notamment à une politique de stérilisations des femmes et la séparation des enfants de leurs parents. Une politique longtemps restée dans le déni mais qui résonne encore dans l'inconscient collectif comme une véritable monstruosité.
Personnages/interprétation : 10/10
Histoire/scénario : 8/10
Mise en scène/ Photographie ++/musique : 8/10
8.5/10
<3