Si c'est-y pas malheureux d'voir ça quand même

J'ai entendu très rapidement à la radio que Borgman était une espèce de fantasme refoulé bourgeois, stimulée par la culpabilité de ces personnes d'avoir autant accumulées au cours de leur vie. Borgman serait la roue de la malchance, l'ombre malicieuse du grand-guignol qui leur tapote le dos. Comme si leur fantasme était devenu un souhait, un peu comme chez Cronenberg où les corps prennent vie par leurs pulsions, notamment les plus autodestructrices.

En tant que pauvre, j'aime bien cette vision de Borgman.
En tant que riche, on doit bien se fendre la gueule.

A vrai dire, je ne sais pas exactement ce qu'a voulu faire Warmerdam avec cette organisation inquiétante et vagabonde mais il y a quelque chose qui me plaît dans cette espèce d'inversion sociale (mais pas économique). L'auteur a représenté les pauvres gens comme étant aussi organisés que ne l'est la bourgeoisie actuellement. D'ailleurs, cette bourgeoisie est une fausse bourgeoisie, d'autant qu'elle n'est pas si organisée que ça : elle n'est pas détentrice de capitaux, elle est employée et aisée et elle n'est pas sur ses gardes. C'est le fantasme de quelques uns (des gauchistes modérés/dépolitisés ?) de croire que cette famille représente la classe haute de la société. Moi, si vous le voulez, je peux vous des noms et adresses de personnes très organisées (oui, madame, je suis français donc j'ai une aptitude déconcertante à pratiquer la délation).

J'aime à comparer Borgman.
A chaque fois que je le compare, je tombe des nues.
Dans Funny Games, par exemple, rien ne laisse présager de l'origine sociale des tueurs mais ça me fait penser à Borgman.
Dans Fight Club, ce sont des parias, des déshérités de l'existence qui s'organisent mais leur organisation ne fait pas feu sur une famille particulièrement (et surtout, c'est une organisation quelque peu dégénéré dans sa mentalité - ce qui est intéressant en soi).
Dans Lady in the cage, les pauvres s'attaquent à une maison bourgeoise mais le propos est clairement en faveur de la victime petite-bourgeoise, sans autre compréhension sociale (chose qui est à la fois la plus abjecte mais aussi la plus courante en dehors du cinéma).
Dans The Educators, les jeunes ne sont pas forcément pauvres et leur propos est purement terroriste et moraliste envers cette classe bourgeoise.
Dans Une époque formidable, ce sont des sans abris et des déclassés qui font les 400 coups envers toutes les classes sociales mais, dans ce dernier, Jugnot se sera intéressé au système D - ce dont Borgman se fout royalement.

Après tout ces films passés en revue,
Borgman garde un brin qui lui est très spécifique, bien qu'il ne soit pas très précis sur le fond. Personnellement, c'est ce décalage qui me chafouine : Warmerdam est précis dans les modes opératoires mais, sur le fond, cela relève davantage du concept plus que des idées.

En fait non... Il faut pas répondre à Borgman, c'est idiot. Il ne faut pas le comparer. Je n'ai jamais vu une telle organisation des pauvres. La force de Warmerdam, c'est qu'il ne dit rien sur les intentions... Et tout le monde sait où il veut en venir... Pas une personne, quelle que soit sa classe d'origine, échappe aux intentions implicites de Borgman : il s'agit de prendre (ou de ne pas prendre) un bain et ce genre de chose n'est pas tellement négociable.

Il y a tout de même des choses troublantes dans Borgman : entre le choix de ceux qui doivent mourir et ceux qui vont devenir les gens de l'organisation.
J'ai le sentiment que Warmerdam est en train de nous dire que la pauvreté peut frapper tout le monde et ne prévient pas, un truc fataliste planant comme ça qui est souvent repris par les associations quart-mondistes de tous poils... Cette vision de la pauvreté me fait mal au fion (en tout bien tout honneur). Il est vrai que je n'ai pas entière satisfaction (même si le film m'a fait rire) : je tiens quant à moi à te dire, toi qui lis quelques lignes ennemies et étrangères : "La pauvreté n’est pas un fléau de la nature, ce n’est pas une maladie, il y a des responsables et on sait tous pertinemment qui ils sont." (Kateb Yacine, in Louise Michel et la Nouvelle-Calédonie)

On préférera toujours un bon petit Pasolini ou un Boisset pour donner des cauchemars aux riches propriétaires mais Borgman "coloporte" aussi une part d'étrangetés et d'inquiétudes, et
je dis pas non.

Il y a dans mes listes, une qui s'intitule "Lutte de classe(s) : crime et horreur". http://www.senscritique.com/liste/Horreurs_crimes_lutte_de_s_classe_s/211547/page-2#page-1/
Dans cette liste , je constate que, dans ses thèmes cinématographiques, la classe productive, autrement nommée classe ouvrière, est plus souvent observée comme meurtrière que les détenteurs de biens privés ne tuent dans cette classe ouvrière ou même dans leur propre classe.
En ce sens, Borgman correspond au sens commun : les pauvres vivent dans les bois, organisés comme une armée qui encerclent les bourgeois. Que cette idée d'organisation soit perçue comme délirante ou absolument sérieuse importe peu au final... Car elle a été quand même énoncée.

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le 30 nov. 2013

Modifiée

le 9 déc. 2013

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Andy Capet

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