Boris Malinovsky est un personnage arrogant, sûr de son fait et de son droit. À une quarantaine d’années, il domine le monde par sa taille et par ses possessions. Si son assise financière semble prospère et ses succès professionnels assurés, il se heurte néanmoins à une résistance : Béatrice (Simone-Élise Girard), sa femme, qui est malade. Plongée dans le silence, elle semble vivre « ailleurs », dans un autre espace-temps que celui dominé par son mari. Elle est souvent immobile, à peu près toujours silencieuse, sauf lorsqu’il s’agit de laisser jaillir un cri. Il pourrait s’agir de mélancolie – comprise ici comme la suspension du présent à un ailleurs indéterminé – dont le regard de Béatrice, jamais fixé sur quoi que ce soit, ne regardant jamais vraiment rien sans pour autant être vide (regard toujours trop loin, regard de l’ailleurs), se fait l’expression. La responsabilité de cette maladie en sera imputée à Boris par un petit homme sorti de nulle part (interprété par Denis Lavant). Dans l’explication la plus simple et la plus rationnelle, ce dernier ne serait que la manifestation imagée de l’objecteur de conscience, cet agent moral résidant dans la tête de chacun, qui rappelle ici à Boris que les succès et les possessions n’en ont pas fait un homme bon ; pire, ceux-ci l’ont rendu coupable de la tristesse du monde alentour. Boris aurait donc mauvaise conscience, le prix payé par les hommes puissants qui, malgré le fait qu’ils broient et digèrent le monde lors de leur expansion, ont néanmoins conservé une place pour un quelconque scrupule.
Cette explication, pour vraisemblable qu’elle soit, n’est là que pour garantir le pacte de fiction. L’essentiel se joue ailleurs, dans les formes avec lesquelles les histoires se racontent, le contenant plus que le contenu. L’invitation de Denis Côté à penser le film sur le mode de l’écriture de sa propre vie n’est pas tant une question morale – « Peut-être suis-je une mauvaise personne qui provoque la souffrance de mon entourage propre, ainsi que ma mauvaise conscience me le rappelle » – mais esthétique. La mélancolie supposée de Béatrice conditionne ce déplacement, car elle raconte le présent de souffrance d’un individu à travers son incapacité à habiter un présent. Selon cette hypothèse, Boris sans Béatrice serait l’autoportrait d’un cinéaste et de son monde par le truchement d’un personnage : un « control freak », notamment des espaces et des temps, comme Boris Malinovsky, qui demeure pourtant paradoxalement en attente d’accidents qui sont, bien souvent dans le cinéma de Denis Côté, le produit de télescopages d’espaces et de temps hétérogènes. « Suis-je un bon cinéaste ? » et « Suis-je une bonne personne ? » ; Denis Côté et Boris Malinovsky, se font dès lors écho. On ne pourra répondre par l’affirmative qu’à tenter de construire des espaces-temps dans lesquels une rencontre est possible, dans lesquels les personnages ne sont pas atteints d’une maladie spatio-temporelle les enfermant dans leur propre monde – et passer alors de Boris sans Béatrice à Boris avec Béatrice.
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