Deux esprits sans attache se rencontrent autour d’une piscine, abolissent la barrière que représente un langage non partagé par la légèreté de leurs attitudes. Un allumé du casque en ciré jaune joue les chefs d’escouade en dirigeant son équipe de bras cassés lors d’un hold up cavalier dans une usine de seconde zone à l’heure de la pause casse-croûte. Trois amis qui s’aiment sans se le dire, se plaisent à s’embarquer dans des situations rocambolesques pour amplifier leur phobie d’un avenir trouble au lieu de la guérir. Quitte à se retrouver, au bout du chemin, dans un enclos peu hospitalier, pour un dernier rire dont l’enthousiasme gras cache en réalité une belle dose de sentiment. Aucune doute n'est possible, on est bien chez Wes Anderson !
Bottle Rocket, premier film du bonhomme, ne possède peut-être pas encore toute la maîtrise, formelle et narrative, de l’esthète acidulé que le cinéaste est devenu par la suite, mais il contient bel et bien toute l’essence de son cinéma. Son principal tour de force étant de se frayer un chemin vers le petit cœur en gélatine de son spectateur, en jouant la carte d’un humour très premier degré, servi avec fougue par des acteurs qui s’abandonnent totalement.
Personne ne restera de marbre devant ce dernier coup d’oeil lancé à la caméra par le trublion Owen Wilson. Après avoir sonorisé tout le film de ses véloces et puissantes cordes vocales, l’homme pose le regard pour enfin laisser entrevoir ce bouillonnement de sentiments qui l’habite, mettant à nu une âme perdue, mais quelque part apaisée. L’avenir semble incertain et le présent a un goût particulier : l’accomplissement d’être enfin passé à l’acte est troublé par l’amère sanction qui va lui coûter une partie de sa vie.
Qu’on se rassure, si la dernière minute assume pleinement le côté dramatique qui imprègne tout le film, les 91 autres sont, elles, du Wes Anderson en pleine germination. Entre jeux graphiques en mode Do It Yourself, typographies enfantines et farce légère, tout est réuni pour provoquer le sourire. D’autant plus qu’à l’écran se joue un festival de tronches sympathiques qui prennent toutes un malin plaisir à tourner pour leur copain Wes. Les trois frangins Wilson — dont Owen signe le script avec Anderson — sont diaboliques dans leurs attitudes, et on ne boudera pas son plaisir de trouver au milieu de ces joyeux drilles le légendaire James Caan, qui n’hésite pas à mettre sur l’échafaud le côté badass qu’il a revêtu toute sa carrière, en prêtant son charisme à un prof arnaqueur rodé aux arts martiaux, bien déjanté, qui se joue d’inoffensifs oisillons entre deux cigares.
Ce retour aux sources de l’œuvre de Wes Anderson est particulièrement stimulant, tant il est marqué par l’inspiration sans bornes de son auteur. Son univers si particulier fait l’effet d’une tulipe en guimauve, plantée soigneusement au beau milieu d’un terrain vague, envahi de jouets délicatement abandonnés. L’endroit idéal pour retrouver son âme d’enfant, lequel une fois débarrassé de tout surplus végétal, laisse entrevoir la possibilité d’un sentiment, dont la portée émotionnelle est bien souvent enrobée d’une nappe sucrée très rassurante.
Imparfaite mais déjà touchante, cette adaptation un brin longuette de son premier court métrage laissait déjà entrevoir la marque d’un réalisateur singulier, qui a, depuis, prouvé aux yeux du monde toute l’étendue de son talent.
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