Le mythe du bon sauvage

Le pitch est simple comme une bonne petite pièce de boulevard. Boudu, un clochard archétype du clochard, tente de se suicider en se jetant dans la scène. Hélas (ou heureusement, selon les points de vue) il est récupéré par monsieur Lestingois, un petit bourgeois qui se met en tête de l'héberger chez lui le temps de le requinquer. Bien sûr au grand dam de madame Lestingois, cueillie dans sa promiscuité par ce Boudu qui est tout sauf discret.

A partir de là Jean Renoir construit une critique sociale reposant sur l'abîme qui sépare la simplicité de Boudu et l'empilement de conventions inutiles caractéristique de la vie bourgeoise. Les Lestingois tentent de faire de Boudu un homme convenable, c'est à dire qui convient à leur mode de vie. Ca passe nécessairement par remplacer ses vieilles loques par un costume trois pièces. Transformer cette barbe hirsute de clodo en une barbe fournie de général de division du second empire. Et lui apprendre à respecter monsieur Honoré De Balzac, le chantre du romantisme français qui a légué quelques une des histoires les plus larmoyantes de notre belle littérature.

Mais ce n'est pas chose aisé. Boudu est un sale gosse à la tête dur qui rêvasse pendant ses leçons de bonne conduite. Il ne pense qu'à la récré et au moment où il pourra aller faire du gringue à l'épouse de son généreux hôte. Il bouffe avec les doigts parce que c'est plus pratique, et fait des blagues en dessous de la ceinture parce que c'est plus drôle.

Boudu c'est le principal ressort comique du film. On s'esclaffe à chaque nouvelle preuve de son inconvenance. Mais on ne se moque pas de Boudu, c'est des Lestingois dont on se moque. Et d'une manière général de la propension qu'à la bourgeoisie à vouloir civiliser ceux qui vivent différemment, même s'ils s'en portent bien. C'est le principe même du colonialisme qui bat alors son plein. Boudu a connu une mauvaise passe, il en a eu marre de la vie. Mais il est très heureux avec sa liberté qui lui permet quasiment tout, et c'est pas connaitre Balzac qui va y changer quelque chose.

Une comédie drôle et cinglante comme on savait en faire du temps de Beaumarchais ou de Jean-Pierre Mocky. Ce n'est pas le chef d'œuvre ayant révolutionné la manière de filmer que présente certain. En 1932 ça fait déjà un moment que le cinéma n'est plus une simple pièce de théâtre filmée. Mais c'est un film sympathique à voir et à revoir. Une référence de la comédie française, un registre dans lequel les bons films se font de plus en plus rare.