Le cinéphile en acte ou le théâtre d'une rennaissance

Ce film est assurément l'un des plus sincères de Tarantino. Il est en même temps celui qui reflète le plus son réalisateur et son addiction pour le cinéma. Mais pas n'importe quel cinéma, celui des années 70 qu'il tente de retrouver ici. Cela suppose aussi une vision toute différente qui est peut-être nostalgique d'un temps du cinéma qui n'est plus? ou du moins qui tend à ne plus être. Ce parfait film de série Z illustre à merveille la subtilité d'une construction qui se veut simple et efficace. C'est un deux en un qui fonctionne sur un dualité et s'affirme par une épuration totale. En d'autres termes, Tarantino se débarrasse de tout le superflu hollywoodien actuel pour s'adonner à sa vraie passion. Ce "vrai" Tarantino se retrouve dans certains de ces films (Pulp Fiction en particulier) mais s'absente dans d'autres (Inglorious Bastards) ; alors qu'ici il est plus que jamais présent.


En bref, l'histoire s'apparente à une construction répétitive où par deux fois un groupe de jeunes filles séduisantes sont sans le savoir la proie du personnage-clé de ce film : l'ancien cascadeur à la balafre (Kurt Russell) qui ne trouve qu'une solution pour atteindre l'orgasme symbolique, la collision-pénétration de sa voiture avec celle des charmantes innocentes. Bien loin des films d'horreur où le violeur atteint physiquement sa victime, cet homme castré, comme sa cicatrice le suggère, n'est capable que de leur rentrer en force à toute vitesse et de réduire en miettes la voiture ainsi que le corps de ces malheureuses demoiselles. La première fois, l'action est parfaitement accomplie et le futur drame se trame le long de la première partie du film dans une certaine ambiguïté où, à l'image de sa toute première victime (une jeune fille qui espère en vain se faire ramener chez elle après sa virée au bar) réalise avec le spectateur que le piège se referme petit à petit.


Au bout d'une heure (pile), le film prend une toute autre direction même si nous avons l'impression que le scénario va se répéter. Un nouveau quatuor de jeunes filles, mais également, comme la couleur du film l'annonce, un nouveau scénario (le film passe précisément à ce moment-là du noir et blanc à la couleur tout en stoppant l'image). La rupture est claire, Tarantino guide son spectateur en lui montrant l'envers du décor. En effet, le drame vire vite à la comédie, voire à la véritable moquerie du personnage masculin qui perd le contrôle de la situation et n'est plus ce tueur en série rigide et méticuleux dans sa préparation. C'est qu'il n'avait pas prévu de s'attaquer à des filles non seulement armées mais aussi cascadeuses. Le renversement de situation est proprement théâtral et le spectateur prend plaisir à voir le tueur se transformer en clown, sensible à la moindre égratignure et qui prend la fuite pour éviter sa propre mort.


Quant à Tarantino c'est un véritable prétexte pour en tirer du plaisir ; il conjugue admirablement le verbe et l'action tout en montrant que cette dernière demeure son domaine privilégié. Il prend son pied à réinvestir la course poursuite et l'univers des années 70 et montre ainsi que le cinéma ne meurt jamais entièrement en évoluant. Nous ne sommes pas condamnés à nous en tenir au cinéma d'aujourd'hui qui, lui, prend parfois des allures bien pauvres. La richesse c'est aussi le passé cinématographique et tout art n'a jamais fini de s'épuiser dès lors qu'il ne se contente pas de répondre aux attentes du public d'aujourd'hui mais qu'il a les yeux tournés vers ce qu'il a été.

ReinaldoM
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le 11 oct. 2012

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