Ce qui frappe dès l'introduction de Bounce Ko Gals, c'est la manière frontale que Masato Harada a de traiter un thème pourtant extrêmement tabou au Japon : la prostitution de mineur, et par-là même les réseaux sous-terrains qui lui permettent de se développer.
Ce phénomène de prostitution des collégiennes et lycéennes est pourtant monnaie courante au Japon, et tout un trafic visant les salary-men (ces fameux travailleurs japonais n'ayant ni le temps ni l'envie de construire une relation avec une femme) et les hommes âgés s'est organisé. Le film en décrit plusieurs : un magasin où les adolescentes vendent leur petites culottes (qui sont achetées par des hommes pour être reniflées), un "numéro rose" (la version pédophile des sites de rencontre, où des adultes laissent des messages vocaux sur un répondeur à destinations de mineurs en quête d'argent) ou même des réseaux de pornographie. Frontal, le film l'est par la justesse avec laquelle il dépeint le portrait de ces lycéennes avides d'argent, qui finalement ne s'en servent que pour acheter des habits de marque et autres objets de consommation dont elles se lassent assez vite.
Bounce Ko Gals est donc tout sauf manichéen : ces hommes ne sont pas que des pervers immoraux mais aussi des personnes profondément solitaires au point de payer certaines lycéennes uniquement pour passer quelques heures avec elles dans un karaoké, et ces filles ne sont pas seulement des victimes d'une société patriarcale mais ont aussi une habilité hors-pair pour manipuler leurs clients, allant même parfois jusqu'à user de violence pour leur extirper de l'argent. C'est aussi l'histoire d'un conflit générationnel, entre une jeunesse que Marc Augé aurait qualifiée de "surmoderne" (n'existant que dans le présent) et des adultes foncièrement tournés vers les valeurs traditionnelles du passé, moralistes alors même qu'ils exploitent sans vergogne les jeunes japonaises.
Masato Harada choisit d'intégrer la longue focale au centre de sa mise en scène, renforçant un sentiment de voyeurisme qui participe au malaise général que provoque le film, et n'hésite pas à surcadrer ses personnages (principalement à travers des barreaux) pour figurer très littéralement leur enfermement dans un système, celui du regard que l'homme porte sur elles, pointant par-là la difficulté d'une émancipation. Cette mise en scène donne aussi un côté "réalisme d'investigation" à l'ensemble, et certaines scènes semblent carrément filmées à la volée dans les rues bondées de Tokyo.
Dans la dernière partie, un changement de ton s'effectue : après cette infiltration dans ce réseau de prostitution, le film en dégage trois personnages de lycéennes et acquiert une douceur innatendue, troquant les longues focales pour des plans rapprochés plus intimistes et légers. Et finalement, ces trois personnages font finir le film sur une touche d'espoir : l'une d'entre elle réalise son rêve, celui de partir aux Etats-Unis. L'émancipation est donc possible, mais pour une fille émancipée, combien d'autres restent entre les barreaux du système ?