Sans être le documentaire le plus passionnant de Frederick Wiseman (et a fortiori le documentaire le plus passionnant tout court), on est malgré tout forcé de reconnaître l'habileté et la pertinence de sa méthode pour rendre compte d'une atmosphère dans un lieu donné, plus ou moins improbable, plus ou moins régi par des codes obscurs, en l'occurrence l'unique salle d'un club de boxe situé à Austin, Texas, et géré par un ancien boxeur professionnel. Avec sa caméra furetant dans les différents recoins, passant d'un atelier à l'autre, il lui suffit de seulement quelques séquences et quelques dialogues pour établir un portrait qui devient presque immédiatement familier. Une chose est sûre, on sort de Boxing Gym avec la sensation d'y avoir séjourné plusieurs semaines, d'en connaître les routines et les habitudes. C'est un sentiment vraiment caractéristique des œuvres de Wiseman qui se focalisent sur une institution ou un espace clairement délimité.
Le programme est double : il est autant question de décrire la boxe à travers sa pratique chez les amateurs de niveaux assez variés que de révéler l'extrême hétérogénéité des personnes qui fréquentent ce lieu peu réputé. Et c'est la première chose qui frappe, tant défilent devant la caméra des classes sociales variées, on dirait un catalogue exhaustif. Des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des prolos et des bourgeois, des ouvriers et des avocats, tout y passe dans un maelstrom de niveaux allant des amateurs aux aspirants professionnels. Il y a bien sur un cortège hétéroclite de clients aux intérêts exotiques, ceux qui cherchent à gagner en assurance, ceux qui souhaitent simplement devenir plus forts, un enfant épileptique dont les parents demandent qu'il ne prenne pas de coups sur la tête...
C'est la première fois que je vois Wiseman s'amuser autant dans le montage au niveau de la piste sonore, puisqu'aux discussions inévitables qui s'engagent entre les personnes se superpose une toile de sons extrêmement divers, des machines qui bipent, des speed bags qui se balancent vigoureusement, des pieds qui s'exercent sur le ring, des coups qui atterrissent dans des sacs. L'occasion de rendre encore un peu plus particulier la retranscription de la vie dans ce microcosme, dans lequel des mamans laissent leur bébé dans le berceau au bord du ring le temps d'un entraînement, et où on apprend au milieu d'un entraînement qu'une tuerie de masse a eu lieu et que la femme d'un habitué du club a une balle logée au fond de son rein. Les États-Unis quoi... En toile de fond, le vieux briscard et accessoirement propriétaire Richard Lord veille au grain, donne les bons conseils, gère les inscriptions, explique le fonctionnement, autant aux vieux retraités qu'aux jeunes chefs de gang, dans un climat d'entraide franchement touchant.
https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Boxing-Gym-de-Frederick-Wiseman-2011