Bien sûr, bien sûr, difficile de ne pas prendre en compte la route balisée à oscars qu’est ce film, parmi toute une flopée qui sortent dans un calendrier bien calibré de fin d’année US pour rester fraîchement dans les esprits avant le vote de l’académie. L’Amérique se regarde dans certains de ses replis gênants : bonne conscience des villes bien-pensantes, ignorance du public visé, tout le monde est content.
Ce serait néanmoins faire preuve de mauvaise foi que de ne pas accorder quelque crédit à ce deuxième essai du comédien Joel Edgerton (fidèle de Jeff Nichols) derrière la caméra. Et de mauvaise foi, il sera beaucoup question dans cette exploration des thérapies de conversion visant à rééduquer les brebis s’étant écartées du droit chemin, homosexuels en tête.
Toute la première partie de ce récit adapté d’une histoire vraie ayant donné lieu à une autobiographie fonctionne plutôt bien : un va-et-vient entre le centre et ses méthodes pour le moins violentes, et un parcours par flash-backs sur les expériences du jeune homme le menant à un douloureux coming-out. La mise en scène trouve son style dans l’exploration de cette maison qui se transforme progressivement en tribunal, et dans laquelle les cloisons semblent de plus en plus étouffantes. La photographie légèrement jaunie, l’allure des parents, leur idéologie, le déroulé des événements pourraient aisément de déployer dans les années 60. Habile ressort qui insiste sur un regard rétrograde, une Amérique figée dans des stéréotypes et une idéologie vernie par une religion incapable de voir sa jeunesse s’émanciper.
Le couple parental permet à un duo de stars de prendre lui aussi très cher : Russel Crowe, qui passe du Gladiator au Predicator débordant de partout, et Nicole Kidman, tout de kitsch vêtue qui propulse bien loin l’Alice de Kubrick, face à un Lucas Hedge qui fait le boulot avec honnêteté.
Seulement, obéissant à cette tristement invariable loi de la dynamique scénaristique, Edgerton se sent progressivement obligé de monter les curseurs du pathos : ralentis, grandes scènes d’éclat, petits encarts clipesques avec chanson tristes font retrouver les rails de bien des poncifs, et vire à une bataille rangée finalement on ne peut plus confortable : les individus contre un système, bien précis, sur lequel iront se focaliser les reproches, tandis que tout ce que pourrait avoir de complexe la gestion de l’homosexualité d’un enfant par des parents conservateurs finit par se lénifier sur les résolutions d’une concorde familiale à plus ou moins long terme.
Le fait que le récit finisse par mentionner le livre lui-même, autre thérapie bien plus efficiente du protagoniste, parachève cette vision un peu simpliste : après le livre, le film, les inévitables photos des protagonistes réels, et tout rentre dans l’ordre. On notera néanmoins qu’une autre tarte à la crème, le carton final pour nous informer sur la suite des événements, vaut ici son pesant d’or pour le savoureux petit twist qu’elle contient à propose d’un des protagonistes.