Braguino
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le 6 nov. 2017
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Entre l’oeuvre d’Art contemporain sur support vidéo et le documentaire de cinéma, Clément Cogitore vient brillamment poser un trait d’union avec son « Braguino ». Jamais la frontière entre les deux n’a été aussi mince. Jamais l’émotion de l’immédiateté (l’action brute filmée) n’a été aussi fusionnelle qu’à celle du ressenti subjectif (images choisies et montées).
Les Braguine, sont les membres d’une famille dont le souhait était de vivre en totale autarcie au fin fond de la Sibérie. Ce rêve est peu à peu rattrapé par sa propre utopie, puisque une autre famille (les Kiline) a également investi les lieux et que d’autres menaces de l’agressive civilisation moderne se profilent.
Clément Cogitore très attaché à la mémoire collective, et à la perception des mondes a pris soin de mûrir son projet avant de filmer. Tout en ayant fait quelques repérages au préalable. Cela se ressent parfaitement à l’écran, non par rapport à cette famille qui malgré une « familiarisation » reste authentiquement elle-même, mais par rapport à ce qui est filmé, le quotidien parmi quelques temps forts (séquences de l’ours, l’île aux enfants et les intrus).
Cette ossature scénaristique s’inscrit dans le mécanisme du documentaire, tout en respectant le cours des choses, ces temps forts font violence à la « platitude » (dans un sens répétitif) de ce mode de vie et sont aussi source de messages d’alerte de dangers qui planent en permanence. Ces dangers sont d’ordres archaïque (nature hostile, guerre des clans) mais aussi extérieurs (braconniers sans foi ni loi, économiques, désertification de la faune…).
Dans ce sens, on s’approche ici de la performance vidéo, chaque action produit ses effets sur le réel à court ou moyen terme. Le patriarche que l’on ne voit presque jamais ne cesse pourtant de s’exprimer à ce sujet. Cogitore veut acter la fin de ce mode de fonctionnement pour cette communauté tout en entrainant le spectateur dans une espèce de culpabilité.
Pour autant, les images ne sont ni rêches, ni fabriquées bien au contraire. L’assemblage des scènes vécues sont simplement sublimées, cela relève d’une expression cinématographique où rien ne peut être laissé au hasard, à commencer par la qualité. Sylvain Verdet nous offre des prises de vue d’une incroyable limpidité et d’une foudroyante beauté, diurnes ou nocturnes l’esthétique des choix influence considérablement le ressenti et l’affect qui se créé pour cette famille et notamment cette kyrielle « d’enfants sauvages ».
Bien des scènes fortes resteront en mémoire. Celle de « l’île aux enfants » avec ce suspens assez particulier où les enfants Kiline viennent perturber le jeu de ceux des Braguine. Otages, ils s’observent, sont prêts à nouer le contact, on sent à travers chacun eux toute la peur et la rancune des adultes, mais aussi le doute à savoir si ces dernières sont justifiées. Fort impressionnant également la façon dont sont filmés les membres de la famille, de jour en survivors tout droit sortis de chez Defoe, de nuit en spectres inquiétants qui semblent hanter cette contrée elle-même déjà fantomatique (ce qui n’est pas sans rappeler quelques plans de « Entre ciel et terre »). La mort de l’ours porte en elle autant de puissance que les toiles de Paul de Vos ou de Jean baptiste Oudry
« Braguino » est un film brut à l’image de ce milieu sauvage. On y ressent tout l’intérêt que lui porte le réalisateur en tant qu’explorateur d’âmes. Il ne se contente jamais de décrire, mais bien de tenter un dialogue, une source de compréhension entre lui et les Braguine, entre les Braguine et les Kiline dont il aimerait à un moment que la barrière entre eux s’ouvre. Peut-être cela se fera t-il par le biais des enfants avant que… ?
De ce documentaire, il serait intéressant d’en tirer une démarche à suite. Un peu dans l’esprit de ce qui a été fait entre « Misère au borinage » de Joris Ivens et Henri Storck et « Les enfants du Borinage » de Patric Jean, deux documentaires traitant d’un même sujet (la vie d’un quartier) à deux époques différentes. Bien évidemment pour « Braguino » il ne faudra pas laisser passer autant de temps pour une suite, tant la fin de cette communauté semble proche. Je pense que les leçons à tirer entre les deux seraient toutes aussi instructives !
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le 21 nov. 2017
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