Une image tremblante, la nature, des visages et surtout des regards. Clément Cogitore nous plonge dans un documentaire étrange et envoûtant, où la peur d’autrui peut amener au pire.
Si au premier plan il raconte l’histoire de deux familles qui vivent en autarcie, au milieu de la taïga sibérienne à 700 kilomètre de moindre village, entretenant une animosité obsessionnelle pour le clan d’à côté, c’est aussi et surtout une histoire de regards. Un monde, une manière de vivre, un quotidien violent, vu à travers les yeux des enfants ou d’un enfant. Aussi, dans son film Braguino, Clément Cogitore nous pousse à nous questionner sur la nature du regard dans le cinéma et particulièrement dans le genre du documentaire.
En effet, une pluralité de regards parcourt ce film. Le point de vue du réalisateur sur cette communauté, sur leur vie, mais aussi le regard de cette communauté envers la caméra, envers nous spectateur.


Ce film est une circulation de visions, entre les images, mais aussi avec la caméra elle-même. Le regard caméra raconte d’avantage que les images. Ces enfants qui fixent la caméra ne la fixent pas directement, mais fixe le spectateur comme visiteur. Il se met en place, alors, un rapport d’étrangeté, de fascination. Leurs regards racontent avant tout le fait qu’ils n’ont jamais vu depuis leur naissance d’autres êtres humains que les habitants de cet endroit.
Puis le regard de ces enfants pour les enfants « ennemis » jouant ensemble sur cette « île de la paix », qui « n’appartient à personne », dans le sens qu’elle n’appartient à aucun clan, et où les regards et les appréhensions sont mises au second plan. Ils s’observent. L’animosité que leurs parents entretiennent les uns envers les autres, se transforme alors en questionnements, entre attraction et aversion.
Après les regards des enfants, il y a les regards que ces familles portent envers le clan opposé : les Kiline. Aussi, par le biais de ces derniers se construisent alors une tension qui transcende le film et le porte et qui semble pouvoir emmener cette communauté à un affrontement irrationnel.
De plus, le montage permet à cette pluralité de regards de jouer sur deux registres. On vacille entre des scènes magnifiques presque ethnographiques où l’on capte les choses dans leur durée et où on les éprouve presque en temps réel, et d’autres scènes qui sont de purs fragments, des ellipses, des mouvements de vie et de nature.


Ce film est un magnifique documentaire sur une communauté dans un monde parallèle où les appréhensions deviennent, par défaut d’autre ressource, la vérité. Un contraste entre la naïveté de l’enfance et la sauvagerie de leur environnement. Le tout dans une fin hypothétique en hors champ, où la violence silencieuse emplie le cadre.

laurebalka
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le 16 nov. 2021

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