Aussi léger et anodin soit-il en apparence, Braquer Poitiers a l’ambition de perturber la frontière entre le réel et la fiction, de redéfinir le rythme et le ton du polar à la française, en plus de jongler avec une multitude de petites absurdités du quotidien : Montrer des simili gangsters se baigner dans une rivière, par exemple. Ou écouter un patron kidnappé s’épancher sur ce qu’il y a de plus beau à ses yeux : Son jardin, ses fleurs. Ou une scène (un plan) sur l’un des « bandits » chantant (avec un décalage assez cocasse) Ces gens-là, de Jacques Brel, par-dessus les paroles crachées par la radio. Braquer Poitiers c’est surtout cette somme de petites douceurs joyeusement dissonantes. Qui mise aussi beaucoup sur l’improvisation et l’interprétation tout aussi dissonante de ses acteurs non professionnels, en espérant qu’une surprise surgira à tout moment. Malheureusement, ça tire moins vers Stevenin ou Guiraudie que vers du Délépine & Kervern. C’est un film moins cynique, probablement, mais il manque clairement de trouvaille de cinéma – Il y a dix fois plus d’idées dans l’ouverture de Passe-montagne que dans ces cinquante-neuf minutes, je pense. Quant à l’histoire – d’un braquage de carwash qui tourne à l’absurde quand son patron décide de se laisser faire – elle n’est tellement qu’un prétexte qu’elle aurait mérité de ne pas exister. Mais la grande idée c’est le personnage du patron, justement. C’est quasi du Tati parlant, à la fois absurde, doux, paternaliste et à cheval sur le vocabulaire. Il faut voir le film pour lui. Ce qui me le rend (le film) un peu gênant, finalement, tant il oublie ses paumés pour se concentrer sur lui, qui aussi déluré soit-il n’est qu’un petit patron ermite. Bref, je ne suis pas convaincu par l’ensemble, je pense que ça manque d’aspérité, je ne sais pas donc pas si c’est aussi prometteur que le prix Jean Vigo qu’il a reçu semble dire, mais il y a quelque chose, c’est indéniable.