J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai beaucoup pleuré, de tristesse bien sûr, surtout dans le dernier tiers du film, mais de bonheur aussi, parce que je trouvais ça magnifique tout simplement. La scène du pique-nique en est l’illustration parfaite je crois : il n’y a rien de dramatique durant ce long moment, tout est affaire de joie, d’amusement avec en parallèle les mamans condamnées à faire le chemin à pied parce que leurs lettres ne sont pas arrivées. Ce n’est pas triste, c’est même très drôle, d’ailleurs il y a une scène où toutes deux, très remontées, laissent échapper un fou rire nerveux, je n’avais jamais vu quelque chose de ce genre dans un film. Il y a donc cette scène de pique-nique, comme substitution éphémère à ces peines quotidiennes, le départ au front de Marcel, cet enfant sans nouvelles de ses parents. Dans le même registre, ce qui doit d’ailleurs être ma scène préférée, il y a ce moment suspendu là-aussi (il y en a énormément dans La maison des bois) où les trois enfants, Hervé, Bébert et Michel jouent avec leur ‘grande sœur’ Marguerite à deviner les cris d’animaux en les imitant plus ou moins bien. Et le film regorge comme cela d’instants miraculeux, ce genre d’instants qui resteront gravés dans ma mémoire. Car La maison des bois pourrait tout aussi bien être plombant, il est au contraire lumineux, sincère et surprenant. La première guerre mondiale se passe puis se termine, il y a ceux qui disparaissent et ceux qui restent. C’est dans ce déchirement que tout devient beau, sensible, ce garçon appelé qui ne reviendra pas, ces familles que la guerre fait éclater puis à sa fin les reconstruit en en éclatant alors une nouvelle. Il n’y a pas plus de bonheur après la guerre (ou alors il est bref, le temps d’une journée d’Armistice) qu’il y en avait pendant. A l’image de Maman Jeanne, attachée aux enfants qui ne sont pas d’elle plus qu’aux siens, dira son mari Albert, et elle de répondre que c’est simplement parce que les uns sont grands, les autres il faut encore s’en occuper. La guerre permet à Jeanne de vivre, de s’épanouir, ce n’est qu’après celle-ci qu’elle mourra, séparée de son grand fiston que la guerre lui a pris, bientôt séparée de sa fille qui s’apprête à vivre sa propre vie, mais surtout de ses bouts de choux de retour dans leurs familles d’origine, donc sans plus aucune raison de rester parmi les vivants. Tout est magnifique jusque dans les nuances. Nuances apportées aussi dans la classe, dont Maurice Pialat s’est attribué le rôle délicat de l’instituteur. Ce film est un poème. Il parle finalement plus de la vie et de l’enfance que de la mort. La preuve, dans ce dernier épisode, Pialat choisit de montrer Hervé, de montrer Paris, il ne montre pas vraiment l’absence d’Hervé dans La maison des bois, il aurait pourtant bien pu le faire. Les dernières minutes sont probablement les plus belles et tristes que j’ai vu de ma vie. Comme le format utilisé est celui de la télévision on pouvait craindre que la commande s’en ressente, que Pialat ne fasse plus vraiment du Pialat. Au contraire, c’est même du Pialat puissance 10, et un beau passage de relais entre L’enfance nue et Nous ne vieillirons pas ensemble. Il est aussi question d’adaptation de l’enfant (nous suivons Hervé en permanence) et de couples qui se déchirent (Le père et la mère d’Hervé, qu’on ne voit pas, puis son père et sa nouvelle femme auquel on assiste dans la dernière partie du film). C’est un film sur les familles déchirées, recomposées, sur ces instants de bonheur qui ne se reproduiront plus, des gens qui vivent ensemble et que l’on sépare. Des vies que la guerre a détruit. Mais c’est surtout, à mes yeux, le plus beau film sur l’enfance.