Pialat était peintre de formation et, comme on l'a souvent dit, cela se ressent dans son œuvre. En regardant « La maison des bois », on a effectivement l'impression d'être devant une succession de tableaux, tantôt intimistes, tantôt vastes, sachant représenter aussi bien la vie quotidienne d'un village français que les grands bouleversements d'un pays entier. Parmi ces « séquences-toiles », on peut citer un particulier celle de la sortie familiale dans la nature (dans le troisième épisode), flamboyante, euphorique et sereine, sans doute l'un des moments de joie et de bonheurs les plus vrais et les plus intenses que le cinéma ne nous ait jamais fait partager – car devant une œuvre d'une telle ampleur, d'une telle grandeur, fût-elle un simple feuilleton, on est bien obligé de parler de cinéma.
On pourrait d'ailleurs se demander où se situe le cinéma dans cette œuvre tutoyant le pictural. En fait, l'une de ses principales fonctions est d'orienter le regard, de s'attarder sur un élément particulier de chaque tableau : l'utilisation répétée que fait Pialat du zoom avant prend alors tout son sens. Car, si l'on peut dire, ici les scènes ne se construisent pas – on passe allègrement d'un tableau à un autre. À chaque nouvelle scène, c'est comme si l'on trouvait devant une toile déjà achevée, comme si le film et son récit échappaient constamment à la fatalité de leur forme – ici les codes de narration sont rarement respectés : la succession de tableaux est aussi bien une succession de blocs temporels compacts, autant de moments forts et authentiques qui suffisent à assurer l'intérêt de l'histoire. Le cinéma trouve alors sa force dans le pouvoir de scruter ces images, d'en souligner certains éléments – un enfant qui sourit, un soldat français près de la dépouille d'un soldat allemand.
Il est d'ailleurs intéressant de voir le rôle que joue le zoom dans le rapport du cinéma à la peinture : par exemple dans un autre film à l'ampleur picturale certaine, « Barry Lyndon », la réalisateur emploie souvent le zoom arrière, comme pour se centrer sur un élément et le situer ensuite dans un décor figé. En somme l'inverse de chez Pialat, où l'on a d'abord une vue d'ensemble sur un tableau souvent chaleureux et vivant pour s'attarder sur un détail et lui donner une existence à part entière, presque indépendamment du décor dans lequel il se situe. Et, plus particulièrement, chaque personnage existe.
C'est d'ailleurs l'un des personnages qui va faire office de lien entre les différents tableaux, devenant une sorte de vecteur directeur du récit : il s'agit bien entendu du protagoniste du film, le jeune Hervé. Incarnant pleinement l'enfance – dans toute sa vitalité et sa spontaneïté, mais aussi dans toute sa mélancolie et sa fausse insousciance –, il semble orienter l'histoire au gré de ses échappées, passant d'un tableau à l'autre comme bon lui semble (dans le dernier épisode, la fugue de Paris pour retrouver la campagne se fait en un clin d'œil). En poursuivant notre métaphore mathématique, on pourrait également parler de vecteur unitaire, puisque c'est comme à partir de lui que d'autres personnages importants gagnent toute leur dimension : on peut en particulier citer le marquis – qui trouve en Hervé un miroir où résonne sa solitude désespérée, et « Maman Jeanne » – qui incarne plus que jamais la Mère par sa relation avec Hervé (la fugue finale serait alors une tentative de quitter la ville paternelle pour retrouver la nature maternelle – mais ce n'est bien sûr qu'une simple interprétation parmi toutes celles qu'offre la richesse du récit).
Ainsi lorsque Pialat rapproche le cinéma du pictural, ce n'est jamais dans l'intention de figer son œuvre – mais au contraire dans celle d'offrir un film vibrant, constitué uniquement de fragments de vies bruts. « Le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde » disait Godard. Devant « La maison des bois », on a plutôt l'impression que la vérité n'apparaît qu'une fois par seconde – mais qu'elle la remplit complètement.
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