Si David Lean est adulé pour ses fresques épiques (Le pont de la rivière Kwai et Lawrence d'Arabie), son œuvre est aussi remplie de films plus intimistes ou sentimentaux, tel Brève rencontre. Ce quatrième long-métrage est son premier grand succès et a été dès le départ tenu comme l'un des meilleurs films britanniques. Il demeure célébré dans les classements de prestige (British Film Institute, magazine Total film) et cité comme l'une des romances les plus importantes de l'histoire du cinéma.


Tourné à la gare de Carnforth, le film commence sur la dernière rencontre d'Anna et Graham. Le premier quart-d'heure suit leur séparation, puis le film retrace leur histoire. À la fin du film s'opère un retour éclairé sur cette dernière rencontre. Entre-temps, le spectateur partage les états d'âmes et réflexions d'Anna, objectivés à l'aide de la voix-off. Il raconte la culpabilité de ces deux amants, tous deux mariés et parents, incapables de consommer leur adultère et sachant dès le départ que leur histoire est impossible.


Ils mèneront toutefois cette idylle, ponctuée par une seule habitude, le passage au café de la gare. Dans ce lieu symbolique se trame une intrigue secondaire, une liaison elle aussi inaccomplie, avec la tenancière très guindée et le chef de gare rentre-dedans ; en vain, mais madame laisse faire. Anna et Graham n'ont pas le loisir de faire durer ni de se prêter à la comédie. Sauf dans les moments les plus innocents comme à la sortie du cinéma, le travail d'Anna consiste à ne vivre cette aventure qu'en étant déjà dans la repentance.


Se sentant comme une criminelle et craignant avec lui d'être vus par des connaissances, elle accepte le contentement ordinaire, voit aussi ce qu'on égare en lui préférant une romance versatile. L'aventure baigne dans un climat indéterminé, atemporel, le contexte est presque occulté, l'époque de l'année, les événements sociaux n'existent pas, les lieux sont sans attache, anglo-saxons simplement. Il reste aux deux amoureux évanouis à consommer le souvenir d'une petite séquence magique de leur vie et la faire tourner dans leur esprit, la vivre simplement en y pensant, sans se compromettre et en restant attachés à leur cadre réel, qu'ils ne voudraient en aucun cas blesser.


David Lean fait preuve d'une grande finesse tout en ne laissant aucun angle mort dans sa narration, contrairement à la pièce de théâtre en un acte qu'il transforme. Il signe un mélodrame remarquable, servi par une mise en scène d'une grande précision, reflétant parfaitement ce sentiment d'être au piège dans une jolie cage et isolé par des sentiments menaçant notre équilibre tout en n'appelant que la frustration. L'idylle de Graham et Anna met en lumière ces limites qu'une simple passion ne saurait nous faire franchir, quand bien même on en serait tenté ; et donc, met en lumière la préférence pour la satisfaction d'une vie réglée et harmonieuse, au détriment d'une liberté qui n'apporterait que le plaisir tout en risquant de précipiter notre existence dans la vacuité.


https://zogarok.wordpress.com/2022/04/07/breve-rencontre/

Créée

le 14 déc. 2014

Critique lue 438 fois

6 j'aime

1 commentaire

Zogarok

Écrit par

Critique lue 438 fois

6
1

D'autres avis sur Brève Rencontre

Brève Rencontre
Sergent_Pepper
9

Silent mourning

“I'm an ordinary woman. I didn't think such violent things could happen to ordinary people.” Dans cet extrait de la confession silencieuse que Laura fait à son mari, tous les choix qui font de...

le 2 mars 2017

78 j'aime

12

Brève Rencontre
Docteur_Jivago
9

Noyé dans l'émotion

C'est un peu par hasard que Laura, une femme mariée, rencontre Alec un médecin lui aussi marié et c'est à nouveau par hasard qu'ils vont se retrouver quelques jours plus tard. Peu à peu, ils vont...

le 9 mai 2015

51 j'aime

9

Brève Rencontre
Ugly
9

La liaison impossible

Revoir Brève rencontre est un véritable ravissement dans ce monde de brutes, on ne résiste pas à Brève rencontre, cette histoire si poignante, traitée de façon si pudique, filmée avec une telle...

Par

le 4 mai 2021

48 j'aime

59

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2