C’est la seconde collaboration entre Jim Jarmusch et Bill Murray, après Coffee and Cigarettes, en 2003, avant The Limits of Control en 2009 et The Dead Don’t Die, qui a ouvert le Festival de Cannes cette année. Ici, nous retrouvons un Bill Murray un brin hagard, détaché, immobile, dans son canapé, au point de laisser sa dernière compagne le quitter sans lutter. Pas de doutes, nous sommes bien chez Jarmusch, avec la rencontre de ce personnage solitaire, détaché, et, quelque part, en marge. C’est un nouveau film très calme et posé, si je puis m’exprimer ainsi en parlant d’un film, qui montre cette attirance de Jarmusch envers le simple et le banal, et cette perpétuelle intention de restituer la réalité sans chercher à l’embellir inutilement.


Poussé par son ami Winston à lever le mystère à propos d’une lettre anonyme qu’il a reçue, lui apprenant qu’il a un fils de 19 ans, Don prend donc la route pour retrouver la trace des femmes de sa vie, celles qu’il a côtoyé, et dont l’une d’entre elles pourrait, et devrait, être la mère de cet enfant inconnu. Don doit alors rompre avec son quotidien, quitter le confort de sa maison, et prendre le risque de se plonger, à nouveau, dans son passé. Broken Flowers propose une véritable exploration du passé, à travers les souvenirs ravivés par les anciennes compagnes de Don, tout en croisant les destins, qu’ils soient accomplis ou potentiels. En effet, les événements du passé constituent le ciment du présent, et permettent à Don de se rappeler d’où il vient. Mais les retrouvailles avec ses anciennes compagnes lui font également découvrir ce qu’elles sont devenues, et ce qu’il aurait lui aussi pu devenir.


C’est là que se situe toute la pertinence de Broken Flowers. C’est la redécouverte des vies que l’on a vécu, et la découverte de celles que l’on aurait pu vivre. Il y a celle qui a trouvé une bonne situation mais qui est malheureuse en amour, avec un mari étouffant et prétentieux. Celle, plus passionnée, qui n’a jamais su trouver l’homme qu’elle voulait, et qui vit seule avec sa vie. Il y a aussi celle qui a trouvé le mode de vie qui lui correspondait, une passion qui l’épanouit et qui lui suffit. Enfin, il y a celle qui vit avec un rustre violent et qui s’est refermée sur elle-même. Chacune de ces femmes et chacun de leur parcours semble représenter une sorte de réalité alternative à celle dans laquelle a vécu Don, qui a croisé le chemin de chacune d’entre elles, mais qui a suivi, finalement, sa propre route.


Mais, dans tout cet entrelacs composé de toutes ces vies vécues et non-vécues, la clé, c’est la paternité. Une paternité que cherche à découvrir Don en voulant lever le mystère autour de cette lettre, en voulant retrouver ce fils inconnu, mais qu’il a pourtant, jusqu’ici, toujours évité, en étant incapable de s’installer durablement avec une femme. C’est le portrait d’un homme qui a toujours été tiraillé entre les délices de l’amour et la peur de s’installer, de s’engager, de peur de ne plus ressentir la passion initiale, d’être responsable d’un enfant, ou de ne plus s’accomplir lui-même. Ainsi, Broken Flowers se présente comme une balade toute en sobriété et en nuances explorant les différents chemins que peut emprunter notre vie, s’intéressant principalement à la paternité, tantôt voulue, tantôt fuie et, au fond, espérée, mais tout n’est pas toujours si simple.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 21 juil. 2019

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