Sombre et beau
Les premières images semblent mettre en mouvement une photographie de Pierre et Gilles. De jeunes hommes parlent sur les bords du Danube. Les lumières de la nuit les éclairent comme le feraient les...
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le 18 oct. 2016
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“Quand on a un bon culot, ça suffit, presque tout alors vous est permis”, ces quelques mots de Céline pourraient justifier à eux seuls cette oeuvre si singulière qu’est “Brothers of the night”.
Les médias évoquent ça et là un filiation avec le cinéma de Pasolini et ses ragazzi (les mauvais garçons glorifiés), Fassbinder (la beauté glauque clair obscure) et cela semble d’une belle évidence. On pourrait également y trouver quelques réminiscences de “My own private Idaho” (lyrisme), mais plus assurément, la source pourrait se situer du côté de chez Jean Genet, “Querelle de Brest” (ah les petits bérets de marin !) bien sûr mais surtout “Notre Dame des fleurs”. Nombre de personnages se rapprochent du roman de l’auteur (la “Divine” entre autre), et comme eux, évoluent dans des décors transfigurés par la nuit, avec son lot de mystère, d’attraction, de perdition ou de refuge.
Cette stylisation et cette absence totale d’apitoiement risquent de perturber un public plutôt terre à terre. Notre société occidentale, trop ancrée sur le politiquement correct ne peut en effet envisager de traiter avec un documentaire, ce type de thèmes (prostitution masculine, immigration, roms…) sur un ton presque anodin. Pas ou peu d’indication sur le parcours de ces jeunes, sur les “vrais” risques (police, violence, mise en danger…) mais plutôt une théâtralisation comme moyen d’expression. Sur des sujets de société aussi sulfureux, tout ce qui peut fâcher semble occulté, lissé. On se rapproche du reste d’un autre documentaire tout aussi saisissant sorti en 2015 “Toto et ses soeurs” d’Alexander Nanau où le réalisateur plaçait sa caméra en coeur d’action sans aucun parti pris si ce n’est l’attachement à son héros.
Ce qui distingue donc ce film, d’un documentaire plus conventionnel, est le parti pris de l’immersion au second degré, devenant restitution. Patric Chiha, visiblement adoubé par le groupe, est devenu un familier et a obtenu par ce biais bien plus de matière que s’il s’agissait d’entretiens distanciés minutieusement préparés. Certes les propos sont de fait moins spontanés et “magnifiés”, ils sont aussi plus “natures” et authentiques. La pudeur ayant cédé la place à la confiance.
Et c’est là que cette approche prend tout son sens, la superficialité ne vient pas entraver le propos, mais provoque bel et bien une fascination permanente, une attention toute particulière à ces presque gamins dont l’aura s’illumine (bien plus qu’avec les éclairages à la “Querelle de Brest”). Ce ne sont plus seulement des victimes d’un système (une masse statistique) mais des personnalités que l’on apprend à aimer, à apprécier même dans leur crudité. L’esprit et le coeur du spectateur sont au diapason, le réel est sublimé pour mieux l’impliquer comme chez Genet. Et d’amour il en est beaucoup question dans le film.
Beaucoup de ces jeunes sont mariés au pays (Bulgarie), certains sont pères. Le déracinement, leur “activité professionnelle” bien que “choisie” mais pénible et un avenir incertain provoquent irrémédiablement, par excès d’alcool ou lors de temps morts, des moments de grande solitude, de remise en question, d’abattement. Heureusement, le groupe est là, soudé pour épauler. Ce qui donne parfois aux relations une tonalité étrange faite de frôlements, de câlins, de moments de tendresse. On ne peut parler véritablement, (même questionnement pour les personnages de Genet), d’homosexualité, mais de corrélation homosexuée. Ils s’accordent le droit à une affection qui leur fait défaut depuis le plus jeune âge. Ils sont tous frères !
Il en est de même pour la caméra qui vient caresser leur existence et leur apporte une importance inespérée et dont ils profitent, cabotins et joueurs.
Il est d’ailleurs impossible de ne pas évoquer ici l'incroyable travail sur la lumière de Klemens Hufnagl. Le terme du générique de démarrage éclipse le jour et le trouble s’installe avec la nuit. Les jeux d’ombres et de lumière habillent d’artifices le documentaire dans le sens où le chef’op apporte des éclairages complémentaires sur les visages, les lieux, les corps, voire des effets (fumée, reflets…). L’aliénation des jeunes, des bars, de la ville même est en place, le rideau se lève sur un monde de la nuit réservé aux seuls initiés et pour le spectateur sur un monde inconnu dont la réalité bien que crédible est totalement revisitée.
On vibre pendant 1h30, où les sentiments aussi divers que contrastés nous saisissent. La peur qu'il arrive quelque chose à l'un d'eux, un instant où l'illusoire miracle se produirait nous titille tant l'envie qu'ils s'en sortent est forte... on rit avec eux devant cette candeur si naturelle, la mine s'assombrit quand l'un d'eux va mal. Bref, Chiha tout en nous interrogeant sur notre culpabilité, nous délivre un beau message sur la solidarité, non pas celle qu'on évoque dans les salons pour mieux s'en soustraire... non cette solidarité là fait fi de l'esprit de dame patronnesse qui anime notre société, elle se vit et se ressent envers et contre tous. C'est elle qui donne la force à tous ces "expatriés" de vivre libres, de lutter, malgré l'indifférence ambiante.
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Créée
le 9 févr. 2017
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