Glances with wolves
On connait la propension du cinéma à revenir aux sources de l’image picturale : la photographie, par son travail sur la lumière et la couleur, prend comme modèle les premières représentations de...
le 9 mai 2017
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On connait la propension du cinéma à revenir aux sources de l’image picturale : la photographie, par son travail sur la lumière et la couleur, prend comme modèle les premières représentations de l’histoire de l’art, et nombreux sont les cinéastes à s’être inspirés des grands maitres, du Kubrick de Barry Lyndon au Kurosawa de Rêves, en passant par les clair-obscur de Ceylan.
Le Moulin et la Croix constitue dans le genre un cas unique, et pourrait être présenté comme la première adaptation d’un tableau au cinéma, en l’occurrence Le portement de Croix de Bruegel L’ancien.
Autour de cette œuvre, il s’agit donc d’établir le mouvement des récits qui convergent vers sa fixité atemporelle. Plastiquement, le résultat est aussi beau qu’intriguant : alors qu’on pense deviner un premier plan en personnages réels, mais figés (sur le principe du tableau vivant) devant un écran reproduisant la toile entière, on prend conscience que d’autres éléments plus éloignés du décor sont eux aussi mobiles : l’effet est vertigineux, et mêle ainsi dans une toile en deux dimensions la troisième du mouvement. Dans les scènes qui ne traitent pas du tableau à proprement parler, le travail de Bruegel est constant : ce sont ses montagnes qui servent de toile de fond, ses couleurs qui s’invitent dans un intérieur ou les costumes flamboyants des personnages… Osmose tout à fait passionnante et pertinente.
Lech Majewski isole certains des personnages de ce tableau particulièrement profus, comme chez souvent chez Bruegel, et détermine leur place dans la toile : il restitue les parallèles que faisait l’artiste entre le Nouveau Testament et l’actualité sanglante de son époque, à savoir l’occupation des Flandres par l’Espagne, dont la milice se répand en exactions barbares.
La place accordée à la violence structure ainsi toute l’œuvre, dont le peintre (Rutger Hauer dans un contre-emploi tout à fait savoureux) nous donne quelques leçons de composition, une sorte de work in progress analytique.
Mais le film prend garde de ne pas virer à la dissertation d’un critique historien de l’art (malgré quelques tentations verbeuses qui ne sont pas toujours passionnantes) : en interrogeant l’épaisseur picturale, le cinéaste étend sa réflexion sur la notion de matière : le bois, la pierre, la meule, les engrenages jalonnent ainsi un grand nombre de séquences fondées sur la lenteur, et un travail précis sur le son. Contemplation accrue visant à ralentir le temps, à l’image de cette séquence assez ahurissante durant laquelle le moulin s’arrête et permet de figer pour l’éternité le plan d’ensemble déterminé par le peintre : le seul mouvement est celui de la caméra, dans une plongée et une remontée d’une extrême lenteur, procession contemplative sur une œuvre dont le mystère reste entier, et dont on aura ici ouvert plusieurs portes fécondes.
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Créée
le 9 mai 2017
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