A quoi bon exhumer cet effroyable fait divers remontant à plus d'un siècle et mettre en lumière l'acte atroce d'un séminariste de dix-sept ans travaillé de pulsions sadiques qui finalement les assouvit en assassinant par décapitation un petit berger de cinq ans plus jeune, qui n'avait d'autre tort que de se trouver sur son chemin cet après-midi-là ?
S'étonnera-t-on qu'on ait trouvé les fonds nécessaires à la réalisation d'un long métrage qui s'en prend aussi clairement, bien qu'insidieusement, à la France profonde du début du XXème siècle, vieille terre chrétienne encore tout imbibée de catholicisme plus ou moins bien digéré ?
Peut-on prendre plaisir à contempler les péripéties de gestation d'un crime aussi abominable ?
On peut attribuer au film des ancêtres célèbres : en littérature, Crime et châtiment de Dostoievsky ; en peinture, Judith décapitant Holopherne du Caravage ; au cinéma, Le Juge et l'Assassin de Bertrand Tavernier, Mouchette de Robert Bresson (même s'il décrit la genèse et l'accomplissement d'un suicide et non pas d'un meurtre), voire The House that Jack Built de Lars von Trier.
Le hic d'un tel film, c'est qu'il nous transforme en voyeurs, en voyeurs impuissants. On assiste à une progressive montée dans l'horreur (garçonnet violenté, masturbations répétitives, pensées criminelles obsédantes), jusqu'à l'horreur ultime, dont on ne nous épargne rien. On nous transforme en complice du jeune criminel, on arrive presque à le plaindre, on lui trouve de larges circonstances atténuantes. Certes, on ne comprend pas ses obsessions criminelles, mais on les met pour partie sur le compte d'une enfance malheureuse, de la fatalité ou du tragique de certaines destinées humaines.
Finalement, on est presque soulagé d'apprendre qu'il a échappé à la guillotine et fini ses jours dans un asile psychiatrique (mort à trente ans, fin 1918 ; de quoi ? mystère ; peut-être de faim, comme Camille Claudel).
Quoi qu'il en soit, le film de Vincent Le Port (c'est son premier long métrage) ne manque pas de qualités. Il est bien construit et bénéficie d'une très belle photographie (belle lumière, couleurs très fraîches), de paysages de campagne verdoyants, d'un bon casting d'ensemble et surtout d'une cohérente, crédible et excellente triple interprétation du personnage principal : à six ans (Alex Fanguin), dix ans (Roman Villedieu) et dix-sept ans (Bruno Doré, dont le jeu et particulièrement la voix sont saisissants ; il réussit, singulier tour de force, à nous faire prendre en pitié celui qu'il incarne). Au fil du développement de l'histoire, on est de plus en plus sous tension, saisi, glacé, horrifié. Au générique final, retentit le "Louange à l'Éternité de Jésus" d'Olivier Messiaen, et on se demande s'il n'y a pas quelque ironie dans ce choix. https://www.youtube.com/watch?v=e3ZFE86QShA