Pour rentrer dans Bug, il faut la même disposition d’esprit que son héroïne lorsqu’elle ouvre la porte au premier venu et le laisse investir le canapé : suffisamment triste et seule pour chérir la compagnie d’un type pour le moins déséquilibré, mais qui lui donnera ce réconfort depuis longtemps oublié d’avoir le sentiment qu’on s’occupe enfin d’elle.
On rentre, donc, dans ce Rustic Motel dont l’unité de lieu étouffante ne cache pas sa filiation avec la pièce de théâtre que le film adapte.
C’est donc dense, elliptique, souvent au mépris du bon sens et de la crédibilité. Friedkin est connu pour ne pas prendre de gants, que ce soit avec la bienséance ou la vraisemblance. L’idée est de pousser dans ses retranchements une frange borderline de la société, dont on fait par ailleurs presque totalement abstraction ici. Plongée dans les méandres de la paranoïa, Bug prend le pari risqué de nous en rendre complice et de nous dessiner la carte de psychés déjantées.
De ce point de vue, les artifices de l’intrigue sont un peu grossiers et prévisibles. Toute l’intro sur les personnages extérieurs (le fils disparu, le retour du mari, la copine lesbienne) n’est bien entendu que la pose d’une toile qui sera redigérée par le cerveau malade du couple, avec un certain talent, certes.
Le film est surtout l’occasion de gratter les blessures là où on a pour coutume de proposer un hors-champ. Friedkin aime insister, et entrainer à sa suite des comédiens, ici Ashley Judd et Michael Shannon, prêts à le suivre en enfer et donnant sans compter de leur corps martyrisés.
Moins retors que Killer Joe, plus bouffon et grotesque, Bug distille certes un malaise, mais joue sans cesse sur la crête entre le fun du film gore et l’obscur de la maladie mentale. On finit par abandonner toute réticence en jubilant devant l’un s’arrachant des molaires à la clé à molette, observant une pizza au microscope ou l’autre hurlant avec la clarté d’une révélation mystique « I am the super mother bug ! »