C’est l’histoire d’un homme soustrait de la trivialité et du Monde commun, par l’Horreur, la brutalité, par un secret inavouable, vraiment inavouable, puisque même pas criminel – mais honteux. Bullhead est, sur le fond, la chronique d’un amputé total, privé de sa vie, réduit à l’état d’animal et d’enfant délaissé. Sur la forme, c’est d’abord un film d’atmosphère et psychologique.
Tout consiste ici en l’étreinte de ce monstre atrophié, replié et mutique. Les seules horizons se dégageant sont intimes. Le film pourrait alors être étouffant, glauque même ; pourtant, l’immersion du spectateur dans l’antre de la Bête est aisée. Nous sommes dans un cadre épuré et cette souffrance confuse n’opprime pas : au contraire, elle fait de nous des spectateurs-voyeurs mais compatissants, des analystes bienveillants.
Les intrigues mafieuses bénéficient d’une attention très seconde : Michael R.Roskam assume la chose, avec soin et même quelques facéties (on aperçoit quelques portraits bien croqués, quelques caractères bien trempés – mais aussi des micro-tentatives de confusion des genres un peu désuètes). Mais ce n’est pas là qu’il se concentre. C’est bien sur le terrain du drame qu’il déploie tout son talent, ainsi que par le biais de sa mise en scène.
Presque organique, sèche et sculpturale comme son héros, cette mise en scène scelle, parfois dans des élans suspendus, une épopée désespérée, poétique malgré elle. Il y a deux rencontres : celle du tragique et du trivial, celle de la Bête affectée et de la Belle nantie. De la même façon, le film s’achève en deux temps : d’une part, la fatalité l’emporte, d’une autre, Bullhead vire à la bad romance, avec un prétendant s’échouant alors qu’il est parvenu dans la tour de la princesse. Le film est en cela à la fois cruel et simpliste, frustrant mais néanmoins fascinant, puisqu’il débouche sur l’échec d’une tentative d’émancipation.
Bullhead est un de ces films à l’issue duquel on a, à la sortie, peu à dire ; mais pourtant, qu’on a vécu, ressenti et peut-être compris, plus que tant d’autres.C’est le gage d’un spectacle simple, percutant et complet. Bullhead est effectivement réussi, profond et impliquant, tout en manquant d’une dimension extraordinaire ; il faudrait une excroissance majeure, de quelconques surprises ou sorties de pistes un peu téméraire, pour que l’expérience devienne coup-de-massue et que de bon film, Bullhead se mue en film monumental. Si seulement le héros croisait, même un instant, la folie, ou qu’à son âme se greffaient d’autres secrets, ou même que gravitait d’autres personnages tourmentés ou mis à nu…
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