En 1986, l’un des thèmes proposés aux concours pour le dossier personnel d’enquête de la Femis était la porte. Sans aucun doute, il aurait pu faire l’objet d’analyse dans Bunny Lake a disparu, tant il est omniprésent jusqu’à l’obsession, devenant créateur de sens, symbole psychologique et moteur narratif.

Citons d’abord la scène la plus parlante dans laquelle Ann et Steve se poursuivent comme le chat et la souris, ouvrant et refermant porte sur porte dans l’ancienne maison jadis fantomatique et qui emprunte ici une forme labyrinthique : construction spatiale de l’obsession d’où l’on ne peut sortir, matérialisation de la folie qui enferme, Ann essayant tant bien que mal au moyen de sa ruse de fuir le délire de Steve qui veut la garder dans son « monde parallèle », quelque part entre jeux d’enfants et meurtre d’adultes.

Ensuite, la porte peut recouvrir de multiples fonctions : dans la crèche où elle établit une barrière entre le caché et le visible, entre le connu et l’inconnu, entre le vrai et le faux (Bunny y est-elle ? Y a-t-elle été déposée ? Existe-t-elle vraiment ?), permettant de créer une tension chez le spectateur et de la maintenir ; dans cette même crèche, la porte séparant l’appartement de l’ancienne directrice marque la limite entre le bruit et la paix, entre l’enfance et la vieillesse, entre le doute et la vérité (La vieille dame dit-elle la vérité ? N’éprouve-t-elle pas un ressentiment à l’égard de ses gosses l’ayant poussé à soutirer Bunny Lake ?), entre le rêve et la réalité aussi avec ces récits enregistrés ; dans la cuisine, la porte séparant le dehors et le dedans et par conséquent la possibilité du kidnapping par la cuisinière allemande ; dans la nouvelle maison d’Ann et Steve, dont le voisin curieux et propriétaire des lieux, homme bizarre et pervers sur les bords, a les clés et où il pénètre, violant le seuil de l’intime (sa réflexion indiscrète sur le masque de fécondité jeté sur le lit allant également dans ce sens) ; enfin, dans la maison de poupées où Ann pénètre, la porte a été volontairement laissée ouverte, comme s’il s’agissait d’un conte merveilleux voire fantastique où une poupée pourrait à n’importe quel moment se mettre à parler (ce qui d’ailleurs arrivera) ; … (ce thème de la porte mériterait bien plus d’exploration : avis aux plus courageux que moi.)

Avec une mise en scène remarquable faite de plans séquences, de travellings, de prises de vues surplombantes et d’angles inattendus, Preminger démontre non seulement sa virtuosité formelle mais aussi transmet stylistiquement la fluidité narrative d’une intrigue qui se veut aussi complexe qu’intelligible. Grâce principalement aux portes, il ouvre une succession d’interprétations possibles qu’il referme aussitôt, surprenant le spectateur en alerte constante, celui-ci élaborant hypothèse sur hypothèse, mais ne découvrant la vérité des faits qu’à la fin. Avec une paire d’acteurs convaincants, prenant de l’ampleur au fil du récit et de la montée dramatique, mais qui n’en font jamais trop (Preminger s’est gardé de rendre pathétiques ses personnages, surtout la mère), Bunny Lake a disparu, bien que réalisé par un cinéaste allemand et distribué par la Columbia, est un film so british en raison de sa grande élégance et de sa touche de folie. Un classique.

Marlon_B
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le 19 sept. 2022

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Marlon_B

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